Jean-Yves Bernot, expert météo, revient sur le Vendée Globe et la trace du leader Charlie Dalin

 

Formateur en stratégie météo au Pôle Finistère Course au Large, Jean-Yves Bernot est depuis plus d’une vingtaine d’année une véritable référence en la matière. Le « Sorcier » comme on aime à l’appeler, travaille et a travaillé avec les plus grands, sans oublier Charlie Dalin sur APIVIA. Il décrypte la trace du leader du Vendée Globe.

 

Crédit : JM Liot



Quel est votre regard sur ces premiers 40% de Vendée Globe, « météorologiquement » parlant ?

Jean-Yves Bernot : « C’est un Vendée Globe qui n’est pas très atypique en soit. Si chacune des situations sont assez classiques, je dirai que ce sont les enchaînements qui ne sont pas très favorables. Il n’y a pas de phénomènes étonnants, mis à part la dépression tropicale Thêta à cet endroit-là et, surtout, à cette période de l’année. Ce n’est pas si fréquent que ça. 

Pour le reste, ce sont des choses que l‘on connaît. Des fois, cela s’enchaîne bien et d’autres fois, non. Là, manifestement, cela ne s’est pas bien enchaîné et ils ne font pas de temps canon. Pas très étonnant qu’ils soient en retard sur les précédents temps de course. Mais, c’est la météo : il faut la prendre comme elle vient ! ».

 

Charlie Dalin sur APIVIA depuis ce début de Vendée Globe ?

J-Y. B : « Il mène bien sa barque. Il prend l’avantage quand il faut et, une fois qu’il est devant, il maintient son avance. Si les autres s’énervent un peu, il appuie un peu dessus et s’ils sont calmes, il tient le rythme… C’est aux autres de prendre des risques maintenant. On voit manifestement que s’il a besoin de milles, il en remet un petit coup car il sait qu’il a un bon bateau avec APIVIA et qu’il le connaît. 

Pour la dépression Thêta, on a tous vu qu’il a fait un gros écart. Maintenant, c’est lui qui sait… Je trouve facile de dire « Oui, mais les autres ils sont passés ». Après, peut-être que les autres ils l’ont payé cher, je ne suis pas capable de le dire ou d’affirmer quoi que ce soit. Mais, lui, force est de constater que c’était intelligent de faire cela. Il a préservé son bateau et cela n’a pas fait de dégâts côté stratégie. 

Après le Pot au Noir, cela s’est bien passé. Sur la partie anticyclone de Sainte-Hélène, il l’a traversé lui… Et je trouve qu’il s’est très bien débrouillé. Il a été assez brillant, car ce n’était pas facile et il y avait moyen de se perdre là-dedans. Et là, tu sens le figariste averti qui sait bien jouer les vents variables, qui reste calme et qui ne s’emporte pas. 

Et puis maintenant dans le Sud, il gère très bien son avance. Il a très bien géré la dépression de mardi/mercredi… Pour le moment, je dirais : cela sent la maîtrise ! »

 

Certes, mais les écarts ne sont pas si conséquents pourtant ?

J-Y. B : « Oui, car là où il n’a pas trop de chance, c’est que son avance ne capitalise pas. Quelques fois, dès le début de l’océan Indien, le premier peut se barrer… Là, non. Et manifestement, cela ne va pas encore dans les jours qui viennent… Des fois, tu as la chance de prendre le bon train, mais là non. Entre lui, Thomas et le groupe de chasseurs, ils restent finalement toujours dans le même système. Il n’y a pas, ce que l’on appelle, de prime au premier pour le moment. 

Mais Charlie gère bien APIVIA, même si les foilers n’ont pas été à la noce et n’ont pas eu des conditions où ils pouvaient être mis en valeur. Mais, on voit manifestement qu’il sait lorsqu’il faut appuyer et quand il faut se calmer. On voit clairement que c’est quelqu’un qui sait régater. Il ne s’emporte pas… il reste cool. Il navigue propre, très propre… ».

 

A quoi peut s’attendre APIVIA dans l’océan Pacifique ?

J-Y. B : « Normalement, c’est un océan un peu plus facile dans la mesure où il y a plus de place dans le Pacifique. Quand tu regardes une carte, tu t’aperçois que le continent Antarctique est très déjeté vers l’océan Indien, ce qui fait qu’il y a moins de place… C’est pour cela, qu’on l’appelle le tunnel dans notre jargon. 

Il y a l’anticyclone qui est toujours là où il est, les dépressions qui passent toujours aux mêmes endroits entre l’anticyclone et le continent, et la mer qui est toujours aussi pourrie. Alors que dans l’océan Pacifique, l’Antarctique étant plus Sud, il y a plus de place. Cela permet, pour les navigateurs d’aller jouer avec plus de terrain disponible et cela donne plus de place pour la circulation des dépressions. 

Donc, souvent, l’océan Pacifique est plus facile à ce niveau-là. Même si tu peux prendre de grosses prunes, tu n’as pas cette mer pourrie dont tous parlent ! L’Indien, c’est un corridor où tout le monde passe, navigateurs et dépressions. Cette année, il y a quand même une constante je trouve, ce sont les anticyclones subtropicaux qui m’ont l’air bien costauds et très Sud. 

On appellerait ça chez nous, un bel été (sourires), mais pour eux, c’est compliqué à gérer parce qu’ils sont coincés entre la ligne des glaces (ZEA – Zone d’Exclusion Antarctique) et ces anticyclones ».

 

Après le Cap Leeuwin pour ce week-end, cap vers le Horn… Un vrai mythe, mais pas que, non ?

J-Y. B : « Le Horn est un passage contraint entre les Andes et la péninsule Antarctique qui est assez élevée aussi. Il y a donc un goulet d’étranglement, ce qui fait que les dépressions passent là en se renforçant. La mer y est également assez croisée également… Donc effectivement, c’est un endroit où le vent est plus fort qu’ailleurs et la mer plus pénible. 

Après, tu peux avoir la chance de passer avec du vent maniable, mais c’est un goulet d’étranglement qui n’est jamais simple à gérer. Que ce soit, un peu avant ou un peu après, il fait toujours des misères… Tu t’es déjà tapé tout l’Indien et le Pacifique. Il y a la fatigue à la fois de l’humain et du bateau, plus de possibles conditions brutales, c’est un endroit à prendre toujours avec beaucoup de précaution ».

 

Vous évoquez que passer le Cap Horn, c’est aussi un changement de mentalité à avoir. 

J-Y. B : « Oui. Il y a un phénomène très particulier également qui se passe au passage du Horn, c’est que d’un seul coup tu vas, tu dois changer de mentalité. Dans l’océan Austral, tu as une mentalité de résistance, tu fais tout pour ne pas faire de bêtises, tu gères le mauvais temps, tu ne fais pas d’attaques spectaculaires et d’un seul coup, tu passes le Horn et entres dans l’Atlantique Sud. Et là, en une journée, tu changes complétement de mentalité. 

Quand je travaille pour des records de tour du monde, je m’y prends quatre jours avant pour débrancher les marins ! Je leur dis : attention, maintenant on va passer à autre chose. Il va falloir être plus agressif dans les stratégies, vous entrez dans un mode complétement différent. Et cela va vite, parce que dès que tu passes les îles Falkland, tu vas commencer à aller faire joujou avec les petits fronts à passer, j’empanne, je vire et si tu rates les deux, trois premiers coups, tu peux perdre beaucoup. 

Ce facteur psychologique de fin de mers du Sud est vraiment à prendre en compte. Car cette remontée de l’Atlantique est toujours compliquée. Toujours… Je n’en ai pas connu une facile. C’est très complexe niveau stratégique. Et d’ailleurs, assez souvent si on se rappelle, beaucoup de Vendée Globe se sont joués à cet endroit. C’est un endroit où il ne faut pas péter les plombs… ».

Source : Apivia