Yann Eliès fait le point sur cette fin de Vendée Globe : "Il va falloir se battre comme sur une Solitaire du Figaro"

 

Yann Eliès, le 5e du Vendée Globe 2016-2017 reveint sur cette fin de course : "Les calculs sont multiples et complexes, et c’est pour ça qu’il est difficile de savoir qui va gagner le Vendée Globe. Ça va demander du sang-froid, cette histoire..." Il raconte. 

 

Crédit : Y Eliès

Ils sont usés, fatigués, et il va falloir se battre comme sur une Solitaire du Figaro  

Yann Eliès : « IC’est ça, et la difficulté de l’exercice est de donner autant qu’on donne en général sur une étape de la Solitaire alors qu’ils ont 75 jours de mer dans les pattes, que leurs bateaux ont des soucis, qu’on ne sait pas dans quel état sont les marins. On peut facilement craquer, faire une erreur de manœuvre, une petite erreur stratégique, s’emplafonner un bateau de pêche par manque de moyens de les détecter ou pas inattention… Ce final va être extrêmement difficile pour nos quatre Flamboyants. Ça va demander du sang-froid, cette histoire...

 

Ces eaux, vous les connaissez par cœur. Est-ce que cela vous aide à affiner la stratégie ? 

Etonnamment, cette dernière partie du parcours, on ne la fait pas souvent en course. C’est souvent un convoyage de retour des Antilles ou du Brésil. Ce n’est pas le même cas de figure. Il y a des pièges à éviter dans les Açores, et puis, effectivement, l’entrée dans les dépressions de l’Atlantique nord ne sont jamais évidentes à négocier, parce qu’elles sont toujours plus teigneuses que ce que les modèles prévoient. Je n’ai pas l’impression qu’ils attendent un gros coup de vent, mais ils peuvent se faire piéger par la rudesse des éléments, trois semaines après avoir quitté les mers du Sud. C’est différent aussi parce qu’il va y avoir beaucoup de nuit, contrairement au grand Sud. Ils vont se retrouver dans le noir complet. C’est une fin de parcours rude, parce qu’on croit toucher du doigt l’arrivée, mais les conditions de l’Atlantique Nord et du Gascogne peuvent créer quelques dégâts.

 

Combien de temps on passe à regarder la trace de l’adversaire, dans ces conditions ? 

Effectivement, depuis que je suis Charlie (Dalin) particulièrement, je sens qu’il est dans sa course. Tout ce qui est parasite autour de la course – ça dépend de chacun – mais moi, j’aurais tendance à tout repousser quand ça vient de l’extérieur : les groupes de messagerie, les demandes d’interviews, les vidéos… La terre est encore demandeuse de savoir, mais je pense qu’ils ont tout intérêt à rester dans leur bulle, le plus concentré possible sur ce qu’il y a à faire, et à ne relever la tête de la colonne de winch qu’une fois passée la ligne d’arrivée. Une des grandes difficultés, à ce moment de la course, c’est de ne pas se projeter sur ce qu’il va se passer après la ligne. Les sollicitations vont être de plus en plus pressantes. Mais cette course est rendue belle par la victoire. Et il faut aller couper la ligne d’arrivée pour espérer la victoire. Cela veut dire que le rythme s’intensifie : manger, dormir, chaque minute au chevet de son bateau compte. 

 

Il y a trois marins qui ont des compensations. Est-ce que, dans leurs calculs, dans la gestion de leur effort, dans une manière d’aborder les heures, c’est pris en compte ? 

Oui, ça y est. Une fois la dorsale des Açores franchie, et qui a rendu son verdict, on ne peut plus s’empêcher de faire des calculs de distance. Dans les routages que je fais, à chaque fois, je regarde le temps qui s’épare nos marins. Mais le calcul est difficile : 6 heures d’écart, c’est finalement peu, on est encore dans le trait de crayon. Il est impossible de savoir si on va arriver deux, quatre ou six heures avant ou après. On voit dans les trajectoires qu’il y a de la stratégie : Boris (Herrmann) sent qu’il a intérêt à sucer la roue et à rester dans le sillage de Charlie puisqu’il a plus de vitesse. Pour Yannick (Bestaven), je ne sais pas si ses problèmes techniques l’ont vraiment pénalisé. Après, Charlie doit se poser pas mal de questions sur le qu’il va pouvoir passer en bâbord amures, dans quelle mer il va pouvoir le faire. Il faut aussi dissocier en stratégie ce qui peut être gagné à aller chercher une bascule, ou à favoriser l’usage de son foil. Les calculs sont multiples et complexes, et c’est pour ça qu’il est difficile de savoir qui va gagner le Vendée Globe. Et je crains qu’il soit nécessaire d’attendre le passage de tous ceux qui sont concernés par la victoire pour savoir qui va vraiment l’emporter ».
 
Source : VG