Isabelle Joschke et Fabien Delahaye affinent leurs gammes, "En double, il faut déjà réussir à se mettre d’accord" - ITW

 

Dans un mois pile, Isabelle Joschke et Fabien Delahaye associés à bord de l’IMOCA MACSF prendront le départ de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre, la plus prisée des transatlantiques en double. Entre courir à deux et en solo, il y a parfois un monde. Avec l’exercice du double, l’approche de la course et la nature même du défi changent pour les skippers. Isabelle et Fabien qui comptent à leur actif plus d’une dizaine de transats en double reviennent sur cette notion de tandem qui attire tant les spécialistes de la course au large.

 


Crédit : R Gladu

Le passage du solitaire au double 

Fabien Delahaye : « En fait, ce n’est pas si éloigné. Sur du solitaire, on a tous les aspects à gérer. En double, finalement, on a la gestion de la fatigue en moins. Quand on part se reposer, on peut s’autoriser des périodes de sommeil plus longues. En mode solitaire, les phases sont bien plus courtes car on est davantage à l’écoute du bateau. L’autre grande différence se situe au niveau des manœuvres : à deux on en fait forcément plus. On pousse davantage les limites du bateau. Pour moi, l’exercice du double est plus facile. C’est aussi plus simple de s’adapter en passant de la navigation en solo à celle en double que dans l’autre sens ».
 
Isabelle Joschke : « Je trouve cela bénéfique de faire une saison complète soit en solitaire, soit en double. Cela implique un état d’esprit et un mode de fonctionnement particulier. Globalement cette année, je considère qu’il est plus approprié pour moi de courir à deux après une année 2020 où j’ai beaucoup donné en particulier sur le Vendée Globe. Je suis encore en phase de récupération du tour du monde. Cette saison, on est deux pour tout faire, l’effort physique est en quelque sorte divisé par deux. Avoir Fabien à mes côtés, c’est un gros soulagement.
 
D’autre part, je trouve que c’est plus enrichissant d’être en double. On embarque avec quelqu’un qui ne pense pas pareil. On se questionne plus et on s’ouvre plus de perspectives, qu’il s’agisse des questions météo, du choix des voiles… Contrairement à ce qui est couramment admis, je dirais que c’est plus facile d’évoluer en solitaire. Quand on prend une décision, on est seul à l’assumer. En double, il faut déjà réussir à se mettre d’accord. Prenez le cas d’une avarie, quand elle survient sur une course en double, vous devez alors gérer deux déceptions, la vôtre et celle de votre équipier. Pour résumer, quand tout va bien, être à deux cela rend tout plus facile. Mais quand la situation se tend, c’est plus compliqué que si on était seul à bord
».

 

Partager son bateau avec un autre skipper 

Isabelle : « Depuis le Vendée Globe, j’ai un peu l’impression que le bateau, c’est chez moi. Il y a une histoire entre ce bateau et moi. Par exemple, j’ai une manière de ranger le cockpit qui me correspond. Ce qui est chouette en embarquant Fabien à bord, qui découvre MACSF, c’est qu’il me donne la possibilité de prendre du recul, de changer mes habitudes. Fabien va apporter des choses nouvelles, un regard neuf. Partager son bateau, cela revient aussi à dire, si tu as des choses à proposer, je suis prête à écouter ».

 

Ce que chaque skipper apporte à l’autre 

Fabien : « Nos expériences sont assez différentes. Isabelle possède un vécu très précieux sur les grandes courses. Elle est habituée à la gestion du bateau sur des épreuves longues. Elle va beaucoup m’apprendre dans ce domaine. Moi j’arrive avec mon profil de régatier pur, de stratège. Après il y a des manières de naviguer un peu différentes, en tout cas propres à chacun. Isabelle fait preuve d’une grande application dans tout ce qu’elle réalise. Elle anticipe beaucoup et sait se montrer relativement prudente quand il le faut pour minimiser les risques. Ce qui fait qu’on est très rarement, voire jamais, dans des situations hors de contrôle, là où beaucoup de mecs pourraient être des bourrins en poussant le bateau hors limites. C’est aussi lié au support et à son histoire sur le Vendée Globe. Un IMOCA, c’est très puissant. Avec nos petites mains, on ne peut pas se permettre de se faire déborder ».
 
Isabelle : « J’ai la connaissance de mon bateau, de la navigation au large sur des périodes assez longues. J’ai également un fonctionnement un peu moins basé sur le court terme alors que Fabien est davantage sur la réactivité. Il sort d’une saison en Figaro quand de mon côté j’ai bouclé la plus longue course que l’on puisse imaginer. J’en sors avec davantage de recul. Là où Fabien voudra trancher vite, je pense que je serais plus pondérée. A nous deux, on trouvera un équilibre ! ».

 

La cohabitation 24 heures sur 24, durant 3 semaines en mer avec la pression de la compétition… 

Isabelle : « En course, je n’ai jamais vécu de situations où naviguer et vivre à deux durant plusieurs semaines posait un problème. Bien sûr à chaque fois, partir en double reste un défi. Ce qui est magique en équipage réduit, c’est de se rendre compte après coup que cette expérience nous a fait évoluer tous les deux et que chacun de nous a appris de l’autre ».
 
Fabien : « J’ai disputé trois Jacques Vabre et quatre transats en double en Figaro et je n’ai que de bons souvenirs sur mes courses océaniques. Je sais aussi que cela va bien se passer avec Isabelle. Cela fait plusieurs années qu’on se côtoie. Je n’ai aucun doute ni aucune appréhension à ce sujet. Tous les feux sont au vert. Maintenant il faut bien comprendre que l’on ne va pas juste vivre en colocation durant vingt jours. On va passer par des moments de course difficiles à cause de la météo, en raison de déceptions après des coups ratés. Il y aura également des moments de fatigue qui vont forcément nous rendre plus susceptibles. La communication est cruciale sur une course en double. Il ne faut pas garder les choses pour soi et en même temps, il ne faut pas se faire embarquer par ses émotions. C’est aussi cela qui est super intéressant dans l’exercice du double ».

 

Source : J Cornille