« Plus tard, je veux faire Lamazou ! » entretien croisé d'Arnaud Boissières et Titouan Lamazou

 

« Plus tard, je veux faire Lamazou ! » Arnaud Boissières n’a jamais caché son admiration pour son idole de jeunesse, Titouan Lamazou, vainqueur du premier Vendée Globe. Quelques semaines avant le départ, les deux marins ont pris le temps d’échanger ensemble. Conversation iodée entre deux amoureux du large.

 

Crédit : J Vapillon

C’est un privilège moderne. Réunir deux hommes distants de plus de 15 600 km. L’un à Tahiti, l’autre aux Sables-d’Olonne. 6 heures du matin et soleil éclatant pour le premier, 18 heures et soleil couchant pour le second. Au bout du fil, Titouan Lamazou, vainqueur du 1er Vendée Globe (1989-1990) et artiste - peintre pour toujours. De l’autre côté du combiné, Arnaud Boissières, un 4e Vendée Globe en ligne de mire et une admiration sans borne pour son aîné qui remonte à l’adolescence. 

 

« Arnaud, quels souvenirs avez-vous de Titouan ? 

 Arnaud Boissières : "Je me souviens être allé voir ton bateau en construction, assister au départ du Vendée Globe à 17 ans puis célébrer ta victoire de à l’esplanade du Grand-Théâtre de Bordeaux où il était invité par Chaban-Delmas… Il y a toujours un poster de toi chez mes parents. À l’époque, quand on me demandait ce que je voulais faire, je ne parlais pas du Vendée Globe. Je disais simplement : « je veux faire Lamazou ! »

 

Titouan Lamazou : Nous avons des parcours qui sont similaires. Moi aussi, à 17 ans, alors que je ne connaissais rien aux bateaux, je disais « tiens, je ferai bien Tabarly ». Et puis les peintres et les marins que j’ai croisé tout au long de mon parcours m’ont ouvert le champ des possibles. S’ils y parvenaient, pourquoi pas moi ?

 

Arnaud Boissières : Je me rappellerais toujours du départ en 1989 avec ce vent fort et froid qui venait du nord. Mon père m’avait payé l’aller-retour aux Sables-d’Olonne et on regardait Titouan. Tu étais de chez nous, on te considérait presque comme un membre de la famille…

 Pour moi, cela correspondait à un moment dur de ma vie. J’étais atteint d’une leucémie. En plein traitement, le Vendée Globe faisait alors partie de mon quotidien, on enregistrait les émissions sur cassette, on ne ratait rien de la course. Ca m’a aidé à voir toujours le bon côté des choses. Si je devais avoir un héros, à ce moment-là, c’était Titouan Lamazou.

 

Les moyens de communication ont bien changé. 

Titouan Lamazou : Oui, c’est le domaine qui a le plus avancé, au-delà même des foils et des aspects techniques. Mais pour moi, c’était une horreur. Dès que l’appel était fini, j’avais l’impression que je me retrouvais soudainement seul. Or, je n’avais jamais craint la solitude. Sauf que la communication perturbait ma concentration, mon organisation, ma vie à bord… Heureusement, c’était facile de faire l’impasse : il suffisait de dire que la radio ne fonctionnait pas. On n’était pas obligé de parler, c’était une bénédiction ! Aujourd’hui, tous ces aspects ne doivent pas vous aider…

 

Arnaud Boissières : Juste avant une vacation, il y a toujours un sentiment ambivalent qui mêle stress et excitation. Mais dès que la conversation est terminée, la pression retombe et ça perturbe, parce que les sentiments sont décuplés en solitaire.

 

Vous avez tous les deux traversés à plusieurs reprises les mers du sud. Comment l’avez-vous vécu ?

 

Titouan Lamazou : C’est une période d’angoisse, gérable mais continue. Dès qu’on passait les 40e rugissants, on en prenait pour 40 jours avant d’être libéré au passage du Cap Horn. Avant, il n’y avait pas de points de passage. Loïck Peyron s’était retrouvé très au sud pour essayer de me dépasser et il s’était retrouvé dans un champ d’icebergs, obligé de vite remonter ! Ça ne me viendrait pas à l’idée de repartir dans les mers du sud. Pour Arnaud comme pour les autres, je suppose que ça doit prendre aux tripes… Il y a aussi des moments d’émotion. Je me souviens que Jean-Luc Van Den Heede était un jour derrière moi. Je lui envoyais les positions des icebergs pour qu’il puisse les éviter. Ça me faisait une belle occupation.

 

Arnaud Boissières : Rapidement, une solidarité s’instaure avec les concurrents les plus proches qu’on ne retrouve pas dans l’Atlantique. Lors du dernier Vendée Globe, j’avais beaucoup communiqué et sympathisé avec Fabrice Amedeo avec qui je n’avais pas de proximité particulière avant…

  

À l’inverse, avez-vous vécu des moments d’exaltation, de fortes joies ? 

 Arnaud Boissières : Paradoxalement, ce sont les moments les plus durs et les plus forts qui sont les plus beaux. À mon premier passage du Cap Horn, je prends une rafale de 62 nœuds et je perds mon aérien. Le bateau se couche, j’ai peur et je continue à avancer. C’était un moment chargé en émotion et je pouvais me dire que quoi qu’il arrive ensuite, je venais de traverser les mers du sud et de franchir le Cap Horn…

 

Titouan Lamazou : C’est parce que tu t’es tiré d’affaire ! (rire) Mais tu sais bien que la remontée de l’Atlantique n’est pas de tout repos non plus, c’est un enfer d’une autre nature, plus stratégique. À titre personnel, j’ai toujours essayé de contenir mon exaltation pendant la course. Mais elle est présente tout au long du tour du monde, bien avant le départ et jusqu’à l’arrivée. L’exaltation se vit aussi de façon ponctuelle - en admirant un coucher de soleil par exemple – et à l’issue de l’aventure, comme un accomplissement heureux.

 

Est-ce que l’on apprécie, aussi, de couper avec la terre, l’actualité et ses tourments ? 

Titouan Lamazou : Si j’envie les skippers du prochain Vendée Globe, c’est parce qu’ils vont passer deux à trois mois en étant tranquilles. Dans l’environnement actuel, c’est un cadeau de prendre l’air sur ces beaux bateaux !

 

Arnaud Boissières : Oui, l’environnement est lourd et pesant mais ce n’est pas nouveau. Il y a huit ans, nous nous étions élancés en pleine crise économique… Après, je partage ce que tu dis, c’est un sacré privilège de prendre l’air, de partir autour du monde et de s’inscrire dans la lignée de ceux qui ont fait le Vendée Globe.


Source : M Honoré