Vainqueur du Vendée Globe 2012, François Gabart : " un Vendée Globiste va trouver son propre chemin"

 

Responsable de l’écurie MerConcept, maître d’ouvrage du projet APIVIA, François Gabart suit de près la course de Charlie Dalin sur ce Vendée Globe 2020. Il raconte.


Crédit : V Curutchet


Quel regard portez-vous après ses premiers 50% de Vendée Globe ? 

« C’est un Vendée Globe que je ne trouve pas facile, dans le sens où les conditions ne permettent pas d’aller vite et ce, dès le départ. Si on regarde plus attentivement, on voit que les skippers ont dû faire du près, qu’ensuite ils ont une dépression à gérer sur la première partie de la descente, puis un anticyclone de Sainte-Hélène qui a pris beaucoup de place, du vent très fort avec pas mal de mer dans l’Océan Indien qui ne permettait pas d’aller vite et là, maintenant, du petit temps avec peut-être du près dans quelques jours… Bref, ce n’est pas un Vendée Globe facile avec cette météo qui n’est pas propice à la vitesse. Ensuite, cela reste un Vendée Globe surprenant, car c’est l’ADN même de cette course. C’est ce qui fait, que cette course reste exceptionnelle et si unique. D’une manière générale, la course au large est souvent comme cela, on ne sait jamais ce qu’il va se passer à l’avance et c’est là, où la dimension d’aventure prend toute sa place. Ce n’est absolument pas incohérent de parler d’aventure dans le cadre du Vendée Globe, car même si on s’y prépare très bien, si on analyse de mieux en mieux nos bateaux et le parcours, il y a toujours plein de paramètres que l’on ne maîtrise pas… et que l’on en maîtrisera jamais ! Il suffit de regarder ce qu’il se passe aujourd’hui sur l’eau… Je pense que c’est la première fois que les dix premiers sont sur une distance aussi faible. C’est plutôt sympa pour nous, si je me mets à la place du public et de tout le monde. Bon, ensuite, c’est vrai que pour le nous APIVIA, c’est un peu plus stressant (sourires)… Mais une course est belle quand elle est serrée et disputée. J’ai eu la chance de vivre un Vendée Globe avec Armel Le Cléac’h (deuxième du Vendée Globe 2012) qui était à côté de moi, littéralement parlant. Et c’était excitant de l’avoir si près. Finalement, c’est ce que souhaite avant toute chose un compétiteur… Alors, quand tu n’en as pas un, mais dix qui ne sont pas loin, c’est encore mieux ! ».


Nous entrons dans une période de fête à terre, comment vit-on cette période en mer lors du Vendée Globe ? 

« C’est une période très particulière… On est vraiment éloignés de tout, dans tous les sens du terme. Là, les marins sont dans le Pacifique et ils vont passer Noël et le jour de l’an, de part et d’autre du point Nemo. Tout le monde sait que ce point Nemo est le point le plus éloigné de toutes terres. Si tu passes un peu au Sud de ce point, la terre la plus proche est celle de l’Antarctique. Une terre qui n’est pas le continent le plus habité de la planète ! La course est clairement actuellement aux antipodes de notre monde à nous et de nos références du moment. Au fur et à mesure de l’avancée dans le Vendée Globe, tu prends de la distance par rapport à la terre. Ne serait-ce que par rapport au décalage horaire… En pleine journée pour toi, c’est le plein milieu de la nuit par rapport à ici, la France, et ceux qui te suivent à terre. Il y a donc forcément des décalages qui se créent avec les repères du monde terrien. Personnellement, maintenant cela peut dépendre des marins, cela n’était absolument pas la problématique du moment ! J’étais en course et il n’y avait que cela qui comptait. En fait, il y a un vrai décalage qui se créée, et ce, dès le début de la course. Certains te posent des questions, que parfois tu ne comprends pas. Non pas que les questions sont déplacées ou malvenues, mais c’est tout simplement que tu ne les comprends pas, parce que nous n’avons plus, en mer, les mêmes repères qu’à terre ou que la course peut avoir. Par exemple, je ne comprenais pas parfois, pourquoi on voulait m’appeler à certains moments qui pour moi n’avaient pas plus d’importance que cela… Oui, tu peux te sentir complétement en décalage par rapport aux repères de ta vie à terre. C’est assez perturbant au final ! Il y a bien évidemment la symbolique des fêtes avec cette notion d’être ensemble, d’être proche de sa famille… Cela fait partie de notre culture. Mais là, en mer, tu as l’impression d’être très éloigné de tout cela. Et à tout point de vue, mentalement, culturellement, géographiquement et physiquement. Je me rappelle qu’il y avait Armel qui était à côté de moi et j’avais l’impression que nous étions tous les deux dans une énorme régate. Dans une régate qui était géniale en plus ! Nous étions dans notre bulle, en fait. Je me souviens avoir lutté quelques jours en cherchant à me raccrocher à quelque chose en lien avec la terre et puis, à un moment donné, j’ai laissé tomber et je suis parti loin, dans tous les sens du terme. Et puis, c’est après que tu reviens petit à petit… Évidemment, quand tu arrives au Cap Horn, tu te rapproches de la terre, tu vois d’autres bateaux… Là, ils sont en train de vivre un truc qui est assez dingue où tu es loin de tout. C’est quelque chose de super fort, ce qu’ils sont en train de vivre et ce n’est pas anodin. C’est vrai que cela secoue un peu ! ».

Pouvez-vous évoquer la remontée de l’Atlantique Sud ? On a souvent tendance à penser qu’une fois le cap Horn doublé, c’est plus simple… 

« J’en ai des souvenirs intenses de ce moment-là (sourires). J’en ai de bons souvenirs car je passe le Cap Horn quelques heures devant Armel. Puis, ensuite, dans les deux et trois premiers jours, j’ai réussi à creuser une petite avance sur lui. J’ai pu prendre un avantage que j’ai pu garder jusqu’à la fin, ce qui m’a certainement permis de gagner le Vendée Globe. Mais, c’était loin d’être facile comme moment… Certes, il n’y a plus l’éloignement et les risques des mers du Sud, mais les conditions sont dures. Il peut y avoir des vents très forts avec le passage de dépressions assez violentes. Cela ne dure peut-être pas aussi longtemps que dans les mers du Sud mais, on se fait pas mal chahuter… Quand tu rajoutes en plus le mode régate, c’est une partie qui est épuisante, tout en sachant que tu as déjà un niveau de fatigue accumulée important. J’ai souvenir d’avoir énormément souffert… Même si j’étais venu pour cela – et je ne me plains pas en disant cela – mais ce n’était vraiment pas simple comme partie de la course. C’est un endroit très exigeant où je n’avais pas envie de lâcher quoi que ce soit et… où il ne faut rien lâcher. »

Est-ce psychologiquement un vrai cap que de franchir le Cap Horn ? Faut-il se déconnecter des mers du Sud pour retrouver un autre rythme ?

« Oui, je comprends très bien cette remarque et je pense qu’en général, c’est le cas. Je mettrais un tout petit bémol par rapport à mon expérience car avec Armel, nous étions tellement en mode régate dans les mers du Sud que cette rupture mers du Sud / Atlantique Sud a été moins importante. Il est vrai que dans les mers du Sud, tu as une gestion qui est différente. Cela se révèle beaucoup plus vrai dans le cas du record que j’ai fait ensuite. En effet, dans le Pacifique, à certains moments, tu fais le dos rond, tu es dans la gestion et puis après le Cap Horn, là il faut attaquer et tu ne te poses pas de question… Mais, pour mon unique expérience sur le Vendée Globe, la régate avec Armel était tellement intense que cela n’a rien changé ensuite. Nous étions dans les mêmes conditions météo, ce qui intensifiait ce mode régate. Et puis, finalement, après le Cap Horn, avec les petits décalages que nous avions, nous étions dans des systèmes météo différents. D’un coup, j’allais plus vite, un coup Armel allait plus vite… Ce qui fait qu’il était plus difficile de se comparer. »

Avez-vous beaucoup échangé avec Charlie (Dalin), sur ce qu’il allait vivre humainement parlant ? 

« Oui, forcément nous avons un peu échangé (sourires)… Nos échanges étaient moins fréquents qu’avec son équipe technique, mais quand nous parlions, on évoquait APIVIA parce Charlie comme moi sommes des amoureux des bateaux, et on abordait ce sujet également. J’ai pu lui amener un peu de valeur ajoutée par rapport aux autres personnes de l’équipe, en évoquant l’aspect humain et ce que l’on appelle l’expérience. C’est tellement particulier d’évoquer ce sujet, c’est tellement difficile quelque part… Difficile parce qu’il n’y a pas de réponse à apporter sur le côté humain ou la façon dont tu vas vivre humainement ton Vendée Globe. Autant d’un point de vue technique, il y a des réponses. Autant sur la gestion de la course et la gestion humaine, je pense que l’on pouvait simplement essayer d’apporter des éléments, qui pouvaient permettre à Charlie de trouver ses propres réponses. J’ai fait très attention à cela car je reste convaincu et persuadé que sur cette partie-là, un Vendée Globiste va trouver son propre chemin. C’est vrai que c’est un peu troublant et frustrant, mais je pense que c’est contre-productif de dire : il faut faire comme cela. Par contre, je pense que l’on peut accompagner et essayer d’apporter sa propre expérience pour alimenter les réflexions que Charlie avait. Ses réponses n’appartiennent qu’à lui… Et d’ailleurs, certainement, il a pris le départ du Vendée Globe sans avoir eu de réponses à ces questions-là. Il va les découvrir au fil du chemin et de la course… je trouve cela fascinant et potentiellement difficile pour certains. Mais, c’est d’ailleurs peut-être l’élément le plus fascinant et le plus passionnant de la course au large ! ».

Source : Apivia