Le déroulé d'une victoire, Boris Herrmann et Malizia s'imposent à Itajai, « remettre l’humain au centre du projet »

 

Construit par le chantier Multiplast à Vannes, Team Malizia mené par Boris Herrmann, très à l’aise aux allures portantes notamment dans la brise, a remporté l'étape légendaire de The Ocean Race hier dimanche 2 avril, parcourant près de 15 000 milles entre Cape Town en Afrique du sud et Itajaí au Brésil. Il devance de cinq heures Team Holcim-PRB, solide leader au classement général après trois étapes. Deux concurrents sont encore en mer ce lundi 3 avril.


Crédit : Sailing Energy


Si hier dimanche, dans la liesse de la nuit brésilienne, les cinq marins de Malizia se congratulent après leur victoire, comment ne pas repenser à ce dimanche noir de mars, il y a un mois pile, quand le code zéro tombe subitement à l’eau ! Cette voile de portant indispensable termine sa course en lambeaux dans la soute. Pire, l’équipage découvre une importante déchirure de vingt centimètres en tête de mât, une drisse l’ayant découpé comme une boîte de conserve. Franchement, on ne donne pas grande chance à l’équipage de poursuivre l’aventure avec un espar en triste état. Mais Boris Herrmann, Nicolas Lunven, Rosalin Kuiper et Will Harris décident de tenter une réparation en mer. Ces deux derniers - les plus jeunes du bord - vont tour à tour réaliser un travail d’orfèvre, et réparer la déchirure à 29 mètres de hauteur, ballotés par la houle.

On se dit que le bateau va poursuivre en convoyage, d’autant que Kevin Escoffier et sa bande, sur leur plan Guillaume Verdier construit chez Carrington au Royaume Uni, affolent les compteurs et s’envolent… La réparation tient, Team Malizia remarquablement « guidé » par le Français Nicolas Lunven, double vainqueur de la Solitaire du Figaro, expert en météo et donc navigateur du bord, profite d’un tassement par l’avant, pour revenir dans le tableau arrière de Team Holcim-PRB, avant de dévoiler tout son potentiel dans les vents portants des cinquantièmes rugissants. Il vire le Horn en tête. Ce n’est plus la course autour du monde, mais un vrai match racing ! À quelques jours de l’arrivée avant la plus sévère dépression rencontrée depuis le début de l’étape au large du Brésil, les deux bateaux ne sont séparés que par 0,2 mille, naviguent à vue, se filment. Les deux skippers bavardent à la VHF sur le canal 77.

Cette nouvelle dépression très nerveuse fait des dégâts. Le vent souffle à plus de 50 nœuds sur une mer épouvantable. Les bateaux fatiguent, et les « bugs » électroniques créent de la tension, et des « vracs ». Team Holcim-PRB dans un empannage musclé, brise des lattes. « C’est la première de ma vie que ça m’arrive » raconte Kevin Escoffier qui dispute ici son quatrième tour du monde en course. Lâché car ayant buté dans des hautes pressions et donc de la « pétole », Biotherm de Paul Meilhat boit le calice jusqu’à la lie, percutant un OFNI détruisant en partie son foil bâbord, générant une voie d’eau… Le plan Verdier mis à l’eau très récemment, est encore en phase d’optimisation, mais manque clairement de réussite en dépit d’un très solide équipage.

En revanche, les planètes s’alignent pour Team Malizia malgré une grosse frayeur lorsque Rosalin Kuiper, éjectée de sa couchette dans un violent enfournement, a été victime d’un traumatisme crânien. On apprend aussi que le générateur du bateau allemand est tombé en panne, qu’un vérin de foil s’est détaché… On sent que le « check-up » au soleil brésilien va être aussi indispensable que complet, les bateaux y seront quasiment « désossés »…

Team Malizia est un bateau homogène, manifestement à l’aise au portant. Boris Herrmann qui avait déjà travaillé avec VPLP pour le dernier Vendée Globe, après avoir racheté Gitana 16, plan Verdier/VPLP de Sébastien Josse, a toujours dit vouloir privilégier un bateau ayant une bonne vitesse moyenne sans être le plus rapide, mais avec une étrave assez haute, un franc-bord augmenté et donc une carène moins exposée. À la mise à l’eau du bateau le 19 juillet 2022, nombreux sont les observateurs goguenards en découvrant le rouf proéminent de Malizia, ses formes peu aérodynamiques, ses larges hublots ! Boris Herrmann répond alors avec sa gentillesse et élégance naturelle que l’important pour lui est de « remettre l’humain au centre du projet », que vivre à cinq dans un IMOCA lors de The Ocean Race nécessite de privilégier l’ergonomie, la protection, la circulation, la visibilité vers l’extérieur… Les images envoyées par Antoine Auriol, l’Onboard Reporter ne vont faire que confirmer le choix du skipper allemand, qui d’ailleurs a fait réaliser une maquette à l’échelle 1 afin d’optimiser notamment l’espace de vie aussi bien pour les marins de quart, de veille ou de repos. Quel contraste avec ses concurrents, où l’on a vu des marins « pliés en deux », la hauteur sous barrots n’étant pas une priorité.

Kevin Escoffier, skipper de Team Holcim-PRB, peut se frotter les mains. Avec son équipage composé d’Abby Ehler, Sam Goodchild, Tom Laperche et Julien Champolion, le Malouin compte dix-neuf points, contre quatorze pour Team Malizia : « C’était une très belle étape. Le bateau est en bon état à part trois lattes cassées sur des soucis de pilote automatique la dernière nuit. Ce n’est vraiment rien, tout s’est bien passé. J’aurais évidemment préféré garder les 600 milles d’avance que l’on avait durant le premier tiers, mais il y a une belle régate qui va continuer. Nous avons pris neuf points sur dix possibles. On est en tête au classement général, nous avons un record des 24 heures. Nous allons pouvoir fêter tout ça avec l’équipe. Arriver ici en deuxième position a pour nous le goût de la victoire. J’ai une équipe fantastique, un équipage humainement et sportivement compétent, je suis satisfait de tout cela. Et fier de ce que nous réalisons. Je regarde devant, je pense à la prochaine étape. »

Pendant que les deux leaders profitent de la douceur d’Itajaí, d’une vraie douche, d’un lit ne bougeant plus, et de leurs proches, les deux derniers concurrents mangent leur pain noir. Après une tempête ayant propulsé les deux premiers non sans mal vers l’arrivée, un anticyclone gonfle au large de l’Amérique du sud, et les vitesses de 11th Hour Racing Team et Biotherm ce lundi matin, sont faméliques. Tous deux, respectivement à 414 et 417 milles de l’arrivée, ne sont pas attendus avant le 5 ou le 6 avril. La course à la voile est décidément une discipline cruelle… quand les riches deviennent toujours plus riches !

Source : TOR