Grand voile déchirée, avarie de carénage du bras avant, ... Charles Caudrelier a souffert sur l'Arkéa Ultim Challenge

Charles Caudrelier s'impose impérialement sur l'Arkéa Ultim Challenge. Auteur d’un contre-la-montre de haute volée, il a su faire preuve de sang-froid, de maîtrise et de gestion pour assurer sa victoire. Retour sur une journée riche en émotions marquée par une entrée magistrale dans le goulet de Brest, une communion avec la foule et, déjà, une certaine idée de son avenir.

 

Crédit : E Stichelbaut - Gitana SA

Quelles ont été les avaries qui ont touché le Maxi Edmond de Rotshschild ?

Charles Caudrelier : « J’ai eu deux avaries majeures. La première, dès les premiers jours, a touché le bras (avant), à cause d’une vague violente. Ce n’était pas structurel, mais du carénage aérodynamique, parce que Guillaume Verdier a eu la bonne idée de ne pas en faire un élément de structure. On a vite trouvé une solution. Il y a eu des problèmes avec les enrouleurs de voile, j’ai cassé des vis, je ne savais plus comment enrouler mes voiles d’avant. J’avais du matériel pour réparer à bord, mais pas assez. J’ai aussi eu des problèmes de dessalinisateur, un des deux est tombé en panne et ça aurait pu me faire arrêter la course. Le deuxième problème est survenu après le cap Horn avec cette grand-voile déchirée. On était parti pour faire une escale technique de 24 heures en Uruguay ou au Brésil et, finalement, on a vu que ce n’était pas une si grosse déchirure. L’équipe a trouvé une solution géniale et j’ai pu repartir après quelques heures de boulot. Il y a aussi eu un problème sur le plan porteur du safran tribord, on allait moins vite sur un côté. Et puis on a eu des problèmes qu’on avait eus à la Transat Jacques Vabre et qu’on a pu identifier avant.

Votre palmarès vous fait émarger parmi les plus grands de la course au large…

C’est sûr que, lorsque je vois les lignes au palmarès, elles sont belles. On dit que, dans chaque adulte, il y a un enfant qui ne s’est pas vu grandir. À 50 ans, je ne peux plus faire l’adolescent. Je me vois encore sur mon premier Figaro… Tom Laperche m’appelle le vieux, je crois que j’ai changé de catégorie. Les lignes (de son palmarès) sont dingues, mais ce ne sont pas celles que j’attendais… Ce qui les rend peut-être plus belles encore. Je ne pensais pas que j’allais cocher les cases Ocean Race ou Multicoque. Je n’aurai pas coché la case Vendée Globe, mais je n’ai aucun regret par rapport à tout ce que j’ai fait. Ça s’est toujours bien enchaîné. Il y a eu du travail, j’espère un peu de talent, mais aussi beaucoup de chance d’avoir pu être là au bon moment, même si je ne me suis pas retrouvé dans ces équipes-là par hasard. À chaque fois qu'on m'a donné ma chance - que j'ai parfois attendue -, j'ai essayé de tout donner. J’ai eu la chance que Pascal Bidegorry, Franck Cammas et tant d’autres m’aient fait confiance.

Franck Cammas suggérait que, après l’abandon de Tom Laperche, vous auriez pu vous ennuyer un peu…

« Franck a envisagé ça avec sa tête. Je le connais, il s'ennuie plus vite que moi sur son bateau, il a tout le temps besoin de se nourrir d’informations. Quand la course avec Tom s’est arrêtée, je venais de passer 15 jours fatigants, mais j’avais envie de me retrouver dans une situation qui allait me permettre de gérer ma course. Si je déchire ma grand-voile (après le cap Horn), c’est parce que j’ai fait preuve d’impatience. J’aurais pris un ris une heure plus tôt, je n’aurais pas cassé ma grand-voile. Or, quand je l’ai fait, j’étais grand-voile haute face à du vent. Il y a eu tant de bricolage, la liste qu’a l’équipe doit être monstrueuse.

Comment réaliser un tour du monde plus parfait que ne l’a été le vôtre ?

Il y a des choses inévitables, sur lesquelles on n’a pas de contrôle, comme les chocs. On a fait un bateau costaud, je pense qu’il faut en faire un encore plus costaud. On se bat pour gagner du poids, mais est-ce vraiment nécessaire ? Sur le bateau, peut-être qu’on peut ajouter du poids plutôt que gagner en aérodynamique. Même quand j’étais à fond (sur un bateau aux performances dégradées), j’étais à 80%, 85% des polaires du bateau. Au début, j’étais très inquiet de perdre en performance. On pourrait ambitionner, avec le prochain bateau, de passer le cap Horn à 90% des polaires (les vitesses théoriques en fonction des voiles, des angles et des conditions de navigation). Il y a plein de détails qu’on peut optimiser, notamment sur les foils. Pendant le tour du monde, on a imaginé des solutions, une somme de détails pour optimiser, mais il ne faudra pas construire trop léger.

Vous avez connu deux épisodes de danger ; comment avez-vous vécu la peur ?

Ça va tellement vite qu’on n’a pas le temps d’avoir peur. J’ai eu un trou dans mon cockpit, une vague a tout arraché, et il y a eu un trou sous la barre à tribord. J’avais oublié que c’était arrivé, et je me suis retrouvé enfoncé jusqu’à la taille. Je me suis rattrapé à des bouts. Tu te dis que ça peut vite basculer, mais tu n’as pas peur sur l’instant.
La vraie peur latente qui était au fond de moi, c’était la casse, la bêtise. Le cerveau s’habitue à la vitesse, et la peur disparaît. J’ai aussi failli chavirer, mais ça a été très rapide. Je me suis surtout dit que j’avais failli faire une belle connerie, ça a été une belle piqûre de rappel.

Comment avez-vous réagi aux arrêts de vos concurrents ?

J’ai fait un peu le faux-cul : ‘Désolé pour toi’. Sérieusement, je suis triste quand Tom Laperche abandonne, parce qu’il faisait une super course. On s’est tiré mutuellement pour faire un super début de course, ce qui nous a permis de creuser l’écart. J’avais des sentiments partagés, entre l’idée que j’allais m’ennuyer et le soulagement, parce qu’il m’avait bien mis la pression. J’avais peur qu’on coure à 100% des polaires – on éclatait les routages – et j’avais peur que les autres en profitent. On était en mode régate, on se surveillait à l’AIS et je lui disais que je ne voyais pas quand il changeait de voile, tellement ça allait vite. Il m’a répondu la même chose, parce qu’on manœuvrait très vite. Le vrai risque de ce tour du monde, c’était d’avancer à deux. J’ai aussi vite vu les soucis de Thomas (Coville), ceux d’Armel qui font qu’il s’arrête. Avant son deuxième arrêt, Armel avait une météo en sa faveur, mais il n’arrivait pas à toucher les vitesses dont il avait besoin pour revenir sur moi. Quand il s'est arrêté une deuxième fois, ça a été un soulagement pour moi qui vois toujours le pire scénario, mais on est un peu triste pour le pote. Quand j'ai dû envisager de m'arrêter pour ma grand-voile, ça a peut-être été le moment le plus dur moralement. On sait ce qu'ils vivent.

De quoi sont faits vos objectifs futurs ?

J’ai coché pas mal de cases et j’ai promis à mes enfants et à leur maman de calmer le jeu. Je fais partie d’une équipe qui a de beaux objectifs. J’ai vécu par procuration la construction de Safran, de Groupama 4, de Gitana 17… C’est un beau challenge de développer des bateaux. J’ai fait beaucoup de monotypie et j’ai toujours nourri des complexes à ce sujet. Construire un bateau en étant là à la base, c’est un beau challenge, et c’est là que je prends le plus de plaisir maintenant, en travaillant au quotidien avec les gens de l’équipe. C’est riche ! Ça m’éclate de travailler et de développer Gitana 18. C’est une chance inouïe et c’est une perspective géniale. On va essayer de défendre mon titre à la prochaine Route du Rhum, mais je ne sais pas si je referai le tour du monde.

Comment s’annonce votre avenir proche ?

J’ai envie de couper, d’aller en vacances. C’était prévu à partir de samedi dernier, mais on va être obligé de partir un peu plus tard que prévu. L’idée des vacances, c’est d’aller sur l’eau avec de la voile, du surf… La mer me manque vite quand j’en suis loin. Et puis il y a donc ce projet de nouveau bateau. À la rentrée scolaire, j’ai hâte de reprendre ma routine, de commencer ce travail-là. J’ai hâte que ça se concrétise ».

Source : Rivacom