Hélitreuillé le 11 décembre, Louis Duc revient sur sa fortune de mer : "Les sauveteurs ont été impressionnants"

"De l’eau jusqu’aux genoux qui continue à monter dans la zone de vie, nous comprenons très vite qu’il faut déclencher les secours, on ne pourra pas rentrer par nos propres moyens." Alors qu'il convoyait son Class40 Crosscall Chamonix Mont Blanc après la Transat Jacques Vabre, Louis Duc et son équipier ont été hélitreuillés le 11 décembre. Bien rentré en France, le skipper revient sur l'accident. 



Hélitreuillé le 11 décembre, Louis Duc revient sur sa fortune de mer
Crédit : A Courcoux



Louis Duc :


"De retour en France depuis une semaine, et le temps de remettre en route l’administratif, téléphone et autre, voici quelques lignes pour revenir sur ce qui s’est passé.

Nous sommes partis de Salvador De Bahia le 2 décembre dernier (en compagnie de Thomas Servignat, marin, sportif averti et technicien chez Gepeto Composite, chantier qui a construit le bateau), pour ramener le Class40 en France suite à la Transat Jacques Vabre.

A bord, nous avions, comme en course, le matériel nécessaire à l’analyse et la réception de fichiers météo, ainsi qu’un système de positionnement (Yellow Brick Tracking) réglé sur une position toutes les 4 heures pour être suivis par les proches à terre.



Conditions musclées avec de la mer formée

Pendant 15 jours, les conditions ont été plutôt clémentes. Nous suivions attentivement les évolutions météo à long terme pour anticiper notre trajectoire à l’approche des Açores, en envisageant une escale si nécessaire.

La météo confirmait des conditions difficiles au passage des Açores pendant 24 heures avec ensuite une accalmie nous permettant de rejoindre la France ou la Corogne avant la prochaine dépression, prévue violente.

Nous savions que nous allions avoir des conditions musclées avec de la mer formée, nous allions traverser le plateau de l’archipel avec la remontée des fonds, zone critique, mais je savais aussi que nous étions sur un bateau fiable, avec un gros couple de redressement, sur lequel j’avais déjà subi de nombreuses fois ce genre de conditions.

Dans la nuit, le génois s’est déchiré, ce qui nous a fait changer de trajectoire pour nous diriger vers Horta, afin de se mettre à l’abri et réparer.



Un coup de gîte extrêmement violent

Nous avions à poste, prêt à l’emploi, la trinquette et le tourmentin, nous avons donc décidé de faire route sous 2 ris et tourmentin, de façon à passer la nuit tranquille et arriver le lendemain soir. Le mode vent du pilote n’étant plus utilisable (la pale avait cassé quelque temps avant), nous étions en mode compas sur le pilote automatique.

Après une charge moteur coupée à 4hTU je suis allé m’assoupir à l’arrière du bateau, sur les voiles, tandis que Thomas était en veille proche de la table à carte, le bateau accélérait dans des surfs à 26 nds, puis ralentissait à 9 nds, les coups de gîte étaient raisonnables et la situation était stable, le bateau se comportait bien dans les vagues.

J’ai senti un coup de gîte extrêmement violent : j’ai compris qu’on y allait.

Nous savons que, dans la mer formée, au portant, la vitesse étant la sécurité, il faut naviguer plus vite que les vagues pour ne jamais être rattrapé. Dans notre cas, le bateau était un peu sous toilé et, dans une phase avec un peu moins de vent, un angle de vent trop bas avec un cap suivi par le pilote sans relancer l’accélération (sans aérien), une vague plus grosse, au mauvais moment, nous a embarqués. 

Le bateau s’est transformé en bouchon roulé par la déferlante… Aucune vague auparavant ne nous avait mis une alerte.



De l’eau jusqu’aux genoux

Dans la seconde qui suivit, le bateau était envahi par l’eau, je me suis retrouvé en apnée pendant une vingtaine de secondes. Ensuite, le bateau s’est redressé. J’ai entendu Thomas m’appeler, tout le monde est encore à bord. Pendant le chavirage, Thomas a été projeté devant sur les cloisons, il est blessé au visage mais valide !

De l’eau jusqu’aux genoux qui continue à monter dans la zone de vie, nous comprenons très vite qu’il faut déclencher les secours, on ne pourra pas rentrer par nos propres moyens. Le premier réflexe a été de couper les batteries pour éviter les risques d’incendie.

Le temps de chercher dans la nuit la balise EPIRB, rangée sous la marche de descente déjà immergée, se décroche de son support. Nous récupérons le sac de survie placé à coté, cherchons en un regard les combinaisons de survie que nous ne trouvons pas, et nous dégageons sur le pont à l’avant, seul endroit encore non immergé.

Merci aux contrôleurs d’équipement qui peuvent être un peu pointilleux aux départs des épreuves, pour des gens quelquefois un peu indisciplinés…

Sous les conseils de Thierry Dubois, le sac de sécurité n’est pas un bidon de survie, mais un sac à dos, ce qui nous permet d’avoir les mains libres et de ne pas le perdre !



Nous déclenchons la balise de détresse

Nous déclenchons la balise de détresse, le plexis du capot avant se décapsule, et le sac des TPS nous tombe dans les bras, voilà un cadeau sympa !

Merci à Aurélien Ducroz d’avoir eu la bonne idée de mettre les 2 TPS dans le même sac au départ de la transat Jacques Vabre...

Nous savons qu’il est aux alentours de 5h ou 6h TU, seule la plage du bateau avant sort de l’eau, probablement grâce au crashbox avant fermé, le tableau arrière est immergé, les balcons arrières sont sous l’eau, la trappe de survie probablement plus d’un mètre sous l’eau, le mât cassé collé au tableau arrière, la barre de flèche sort de l’eau, tout cela empêche complètement l’accès au radeau de sauvetage.

Dans les briefings sécurité auxquels nous assistons lors des départs des grandes épreuves, on nous dit de ne jamais quitter le navire tant qu’il flotte encore, nos bateaux construits en sandwich avec des compartiments remplis de mousse d’insubmersibilité ne peuvent pas couler, ils sont (presque) toujours repérés, même entre 2 eaux, c’est ce qu’on s’est répété toute la journée qui a suivi... en espérant qu’ils aient tous raison…

En position d’attente, nous imaginons pouvoir être survolés et repérés dans la matinée et récupérés plus tard par un cargo ou un navire militaire envoyé depuis les Açores.

Dans ma tête, je repasse les épisodes de chaque fortune de mer que je connais (il y en a quelques-unes). Il y a eu bien pire que nous, l’eau est à 18°C, et nous sommes en combinaison de survie.

Le seul hic, c’est que nous ne sommes pas en course et une inquiétude naît petit à petit dans la journée : la possibilité que la balise ne fonctionne pas.


On nous cherche !

A la tombée de la nuit, un avion de la marine portugaise nous a survolés, alors que nous commencions à envisager une seconde nuit dans l’eau.

Pour nous, c’est énorme, on nous cherche ! Je me rends compte de l’importance des nombreux stages de survie auxquels nous participons régulièrement, ils sont d’une aide énorme. Nous connaissons les procédures, les éventualités, les bêtises à ne pas commettre, j’avais eu l’occasion de refaire mon stage ISAF début octobre.

Une bonne demi-heure plus tard, un hélicoptère du MRCC de Punta Delgada nous survolait pour nous récupérer, nous savons que c’est le moyen le plus performant qui puisse exister, nous pensions ne pas être à portée d’hélicoptère.

Nous n’avons plus qu’à obéir aux instructions du plongeur. Les sauveteurs ont été impressionnants. Dans 40 nds de vent et 8 mètres de creux, ils manœuvrent au millimètre !

Je ne sais que dire pour les remercier. Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir eu recours à eux, ils sont formés à très haut niveau et acceptent d’intervenir en limite de zone dans des conditions difficiles.

Après une vingtaine de transatlantiques, j’ai déjà subi quelques déboires, mais c’est la première fois que je ne suis pas apte à ramener mon bateau au port et qu’il est nécessaire de déclencher les secours.



Un grand merci


Un grand merci donc à tous ces intervenants bien rôdés depuis des années, souvent dans l’ombre, qui nous permettent de prendre le départ de courses, avec tous les éléments pour préparer nos bateaux à notre sécurité.

A la sortie de l’hélicoptère, nous avons été pris en charge par l’Hôpital de Terceira où l’équipe de soignants a été formidable avec nous. 

La question que tout le monde se pose : et le bateau ? Le Class40 150 baptisé Pinocchio a été construit par Gepeto Composite. Pour l’ironie du sort, l’histoire du bonhomme de bois se termine dans une caisse en bois dans le ventre d’un cachalot, au large des Açores..

Le Class40 Pinocchio, portant les couleurs de Crosscall Chamonix Mont-Blanc sur la Transat Jacques Vabre, continue sa navigation entre deux eaux. Nous avons toujours sa position grâce à la batterie interne de la Yellow Brick.

Nous lançons donc actuellement avec mon équipe, et en accord avec l’assurance, une opération pour récupérer le bateau et faire ainsi en sorte qu’il ne représente plus un danger pour la navigation."


Louis Duc

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