Quand les hautes pressions jouent les filles de l’air, pas facile d’établir un plan de campagne pour le contourner ou le traverser : les options prises par les leaders des deux grands groupes qui se sont formés après l’équateur, ont toutes deux leur part d’incertitude. Un doute qui ne sera levé que mercredi ou jeudi pour Alex Pella et Pepe Ribes, qui ouvrent la voie médiane…
Copyright María Muiña
Il faut en effet patienter, attendre que la diagonale orageuse qui coupe l’Atlantique Sud en deux parts inégales se soit dissipée. Parce que demain mardi, ce ne sont pas moins de deux zones de basses pressions et quatre cellules anticycloniques qui se forment entre l’Argentine et l’Afrique du Sud ! Tout ça pour se métamorphoser en un vaste plateau de hautes pressions à l’horizon de la fin de semaine… Cet éparpillement des cartes météorologiques rend donc extrêmement difficile une prévision fiable même à court terme : entre ces phénomènes climatiques particulièrement rapides dans leurs déplacements et leurs variations d’intensité, se mêlent une multitude de « grumeaux », de zones incertaines et incernables sur les modèles au point de totalement changer les conditions réelles pour les concurrents.
Des plateaux instables
Comme sur terre, le relief atmosphérique est marqué sur l’océan par des zones de hautes pressions qui forment des plateaux montagneux relativement fixes (anticyclones) et des cratères de basses pressions qui se déplacent normalement rapidement (dépressions). Mais voilà que le souffle d’Eole balaie ce schéma classique puisque tout s’inverse : les basses pressions se diluent lentement dans des parcelles de hautes pressions qui se phagocytent mutuellement… C’est ce plateau instable que le leader Estrella Damm, s’apprête à escalader, espérant ouvrir une voie vers l’île Gough.
L’ascension s’annonce longue et pleine de soubresauts car le terrain s’avère glissant, fuyant vers le Sud-Est tel Sisyphe poussant sans interruption son rocher en haut de la montagne ! Le long bord travers à un flux de secteur Est va donc perdurer jusqu’à l’orée des Quarantièmes Rugissants, avec le risque de tomber dans une crevasse provoquée par cet étirement atmosphérique… Pour Groupe Bel qui pointe ses cornes 170 milles plus au Nord, le chemin devrait être pavé de meilleures intentions : une demi-journée de décalage va peut-être reconstituer un sentier montagneux moins éboulé…
Des cols fermés
Au large de la province d’Espirito Santo, les « Brésiliens » ont choisi une voie bien plus longue (ils sont déjà à plus de 500 milles à l’Ouest de la route directe entre l’équateur et Bonne-Espérance !), mais qu’ils pensent plus rapide : s’enfonçant dans un col dépressionnaire, ils espèrent que cette vallée atmosphérique les portera rapidement jusqu’aux Quarantièmes Rugissants, d’où doivent surgir les perturbations du Grand Sud et leurs vents portants. En théorie, ce sont près de 700 milles de plus à parcourir, mais cela permet de glisser dans des vents puissants plutôt que de taper dans la mer comme ceux partis à l’Est…
Seulement, en mélangeant les cartes météorologiques, Eole redistribue aussi les atouts et il n’est pas impossible qu’un gouffre se creuse en plein cœur du col atmosphérique que suivent Foncia et Virbac-Paprec 3 (ainsi que probablement MAPFRE). S’il leur faut se détourner pour contourner cette nasse sans vents établis, le gain de vitesse risque fort de ne plus être suffisant pour compenser la rallonge de route !
Des reliefs contrastés
Sur les collines qui bordent le Sud de l’équateur, le reste de la flotte est encore dans l’expectative : à l’exception de Hugo Boss qui semble lâcher les chevaux pour accélérer et rallier la cause des « Brésiliens », les autres duos préfèrent pour l’instant se garder de toute décision trop marquée. Histoire de pouvoir changer d’option ce qui est encore possible jusqu’au 15°S environ : après cette latitude, il n’y aura plus grand choix ! Soit glisser très vite plein Sud, soit arrondir l’anticyclone de Sainte-Hélène au fur et à mesure qu’il se reconstitue.
Les écarts s’accroissent ces dernières 24 heures entre les premiers qui profitent d’un alizé constant au moins jusqu’à demain mardi soir, et les derniers qui n’ont pas encore touché le régime d’Est régulier qui souffle sous le 7°S. Gérard Marin et Ludovic Aglaor ont ainsi perdu beaucoup de milles ces dernières heures en raison d’un vent fort peu soutenu depuis le Pot au Noir. Avec 640 milles de retard, soit deux jours et demi sur le premier, FMC n’aura plus du tout le même paysage atmosphérique à affronter d’ici la fin de la semaine. Logiquement, le ralentissement attendu pour la tête de la flotte jeudi va de nouveau compresser les écarts…
Ils ont dit :
Kito de Pavant, Groupe Bel : « On est un peu au milieu de nulle part avec des conditions assez douces depuis trois jours. C’est plutôt sympa. Maintenant on a un gros décalage entre les bateaux qui sont complètement à l’Ouest et nous avec Estrella Damm. Je crois qu’on n’a pas le choix et on est obligé de rester chacun dans notre logique : on verra dans quelques jours comment ça se passe, mais on n’a aucune certitude sur nos options différentes. Les conditions sont vraiment différentes de nos copains de l’Ouest, mais je pense que l’on va surtout être ralentis mercredi : est-ce que ça va passer ou est-ce qu’on va être complètement bloqués, c’est la question ! Cette journée va vraiment être décisive. Là, on marche entre 11 et 13 nœuds et on est sous pilote donc on ne sera pas fatigués en arrivant à l’île de Gough ! L’eau est à 25°C, mais elle se refroidit et les voiles nous protègent du cagnard. On s’est beaucoup reposé et on dort beaucoup pour être en forme et attaquer le plus gros du parcours. L’alizé va faiblir et on a des routages qui nous font passer dans des trous souris mais faire passer une vache dans un trou de souris ce n’est pas commode, mais on va voir ce que ça va donner ! »
Jean-Pierre Dick, Virbac-Paprec 3 : « On est content d’être là, car l’épisode du rail arraché a laissé des traces, mais on a réussi à repartir et on est encore dans le coup : c’est un motif de satisfaction. L’autre motif de satisfaction c’est qu’il fait beau, le bateau avance bien et avec Loïck on a réussi à grappiller quelques milles à Foncia dans la nuit. C’est vrai qu’on a pris une option Ouest assez marquée par rapport à nos concurrents. « Wait and See », l’anticyclone de Sainte-Hélène n’a pas fini de faire parler de lui… Il y a un peu une stratégie de communication avec le mode furtif, il y a une réflexion intellectuelle derrière sur le fait de se cacher ou pas. On est en train d’entamer ce processus avec Loïck. Je pense que ça peut apporter du piment, comme on peut le voir pour MAPFRE : on ne sait pas où il va atterrir dans quelques heures. Peut-être qu’il est juste à nos côtés… On a considéré que l’option Sud était encore bonne et j’espère qu’on ne s’est pas trompé. On peut toujours tout faire en stratégie même si on doit accepter de croiser derrière. »
Alex Pella, Estrella Damm : «Nous avons pris l’option Sud-Est car, avec les informations que nous avons, nous pensons que c’est la meilleure. Être premiers est un grand plaisir, même si nous savons, par expérience, qu’il peut se passer mille choses. Aujourd’hui, nous profitons simplement de la situation. Pour le mode Furtif de MAPFRE, c’est une option que nous avons décidé de ne pas encore prendre parce que nous attendons de bonnes conditions pour attaquer. Ils ont sûrement pris l’option de tirer à terre et ce devrait être quelque chose de clairement radical.»
Classement du 17 janvier à 15 heures :
1 ESTRELLA DAMM Sailing Team à 20879 milles de l’arrivée
2 GROUPE BEL à 136 milles du leader
3 MAPFRE (en mode furtif)
4 MIRABAUD à 205 milles
5 FONCIA à 260 milles
6 VIRBAC-PAPREC 3 à 281 milles
7 NEUTROGENA à 300 milles
8 RENAULT Z.E à 332 milles
9 GAES CENTROS AUDITIVOS à 340 milles
10 HUGO BOSS à 463 milles
11 CENTRAL LECHERA ASTURIANA à 492 milles
12 WE ARE WATER à 551 milles
13 FORUM MARITIM CATALA à 639 milles
ABN PRESIDENT
Source : Barcelona World Race