Figaro / Jérémie Beyou, la fureur de vaincre

A 35 ans, Jérémie Beyou remporte la Solitaire du Figaro pour la deuxième fois et trois étapes sur quatre. En 2005, il la remportait devant deux anciens vainqueurs, Michel Desjoyeaux et Kito de Pavant. Six ans plus tard, sa victoire est sans appel, après avoir remporté trois étapes sur quatre devant Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham) et Erwan Tabarly (Nacarat). Les dernières heures ont été terriblement disputées à l'image des douze secondes qui séparent Jérémie Beyou de son dauphin sur cette dernière étape, Paul Meilhat (Macif 2011).

Crédit : Courcoux-Marmara

Une victoire sans appel.
"Bien heureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière..." disait Michel Audiard. Il fallait l'être durant cette ultime étape de la Solitaire du Figaro, entre les Sables d'Olonne et Dieppe !!! Jérémie Beyou, Fabien Delahaye, Erwan Tabarly et Paul Meilhat se sont battus comme des chiffonniers, à ne pas se lâcher d'une demi-longueur de bateau. Au final, c'est Jérémie Beyou qui décroche la lune douze secondes devant Paul Meilhat ! Il rentre dans le clan très fermé des doubles vainqueurs de l'épreuve.

Cette victoire il la voulait, il la pensait et la préparait depuis trois ans. Lorsque, en 2009, il revenait sur la Solitaire du Figaro après quatre ans d'absence, son objectif était clair : la victoire. Mais en 2009 comme en 2010, même s'il a fait des coups d'éclat (il remporte deux étapes sur quatre en 2009), il manque de préparation. Une Solitaire, ça ne se gagne pas à quelques coups d'entraînements. Cela exige un travail de préparation aussi précis que celui d'un orfèvre. Tout est passé au crible, analysé, optimisé, de la préparation de chaque centimètre du bateau, aux voiles, en passant par l'analyse des conditions météo des éditions précédentes, la préparation physique, l'alimentation et le mental.

Jérémie Beyou n'a pas de préparateur mental mais il a préparé cette course depuis si longtemps qu'il est arrivé au départ, extrêmement concentré sur son objectif. Rien ne pouvait le perturber. Aux escales, il était rare de le croiser. Il préférait rester dans sa bulle pour se reposer, étudier l'étape à suivre, ne pas se laisser distraire. Sa course, il l'a préparée au Pôle Finistère Course au Large ainsi qu'avec son préparateur François Guiffant et Christopher Pratt, skipper, qui a décortiqué avec lui les scénarios météo envisageables sur chaque étape. Cette course, il la voulait, il est allé au bout de lui-même, il a été impérial.

Trois étapes sur quatre
Première étape Perros Guirec - Caen : Cinquième à la bouée Radio France devant Perros Guirec, il s'accordait le prix GMF, à Hand Deeps. Après avoir mené l'étape aux avant-postes, il termine 4ème, forcément déçu et déclare : " Durant la nuit, je n'ai pas réussi à mouiller mon ancre pour éviter le courant. Alors j'ai perdu du temps parce que, pendant ce temps, je ne faisais pas marcher le bateau. Je suis tombé dans un trou d'air, on ne voyait pas les nuages, le ciel était bouché, impossible de se placer."

Deuxième étape Caen- Dun Laoghaire : Dès le départ de Caen, Jérémie était dans le tempo et maîtrisait parfaitement ses choix de route. Les leaders au classement général changeaient au gré des positions, Jérémie restait toujours à moins d'un mille du leader, n'étant jamais pointé au-delà de la 5è place.
L'étape fut rude. Après la traversée de la Manche au près, la flotte progressait au louvoyage le long des côtes britanniques. Il fallait manier la tactique avec aisance pour arriver à Land's End, à la pointe britannique qu'il franchissait en tête. Jérémie ne quittait plus la tête de la flotte et creusait même l'écart peu de temps avant l'arrivée. Il franchissait la ligne d'arrivée en grand vainqueur.

Troisième étape Dun Laoghaire - Les Sables d'Olonne : Après un départ mitigé devant le port irlandais, le skipper de BPI choisissait de s'approcher au plus près de la côte pour bénéficier des effets de site. Dans la nuit, il prend le leadership de la flotte pour ne plus le quitter jusqu'à l'arrivée plus de 48 heures et 475 milles plus tard. Jérémie frappe un grand coup et s'octroie la victoire, une fois de plus.

Quatrième étape Les Sables d'Olonne - Dieppe : L'étape s'annonce compliquée à gérer. Jérémie caracole en tête avec Fabien Delahaye dès le lendemain du départ. Il franchit le raz de Sein en tête, passe au ras des cailloux, s'octroie le grand prix GMF entre Ouessant et le phare du Four, est toujours en tête au phare de l'île Vierge lundi soir. A chaque zone de transition, il gagne quelques longueurs. La nuit est fatigante, à louvoyer dans les cailloux et dans la brume. Après un passage ralenti sous l'île de Guernesey et le raz Blanchard, ils forment un groupe de quatre avec Fabien, Erwan Tabarly (Nacarat) et Paul Meilhat et se marquent. Aucun d'eux ne veut rien lâcher, ils ont tous autant la niaque. L'un pour remporter l'étape, l'autre pour s'assurer une place sur le podium de la course. C'est une petite manoeuvre, un empannage qui permettent à Jérémie Beyou de franchir la ligne en tête, 12 secondes devant Paul Meilhat (Macif). Au classement général, Jérémie augmente encore un peu l'avance qu'il avait sur Fabien Delahaye de quelques secondes, 34 minutes et 43 secondes au final.

Son portrait :
Les eaux de la baie de Morlaix doivent posséder des vertus insoupçonnées. Aujourd'hui, c'est Jérémie Beyou, enfant du pays, qui entre dans le cercle très fermé des doubles vainqueurs de la Solitaire du Figaro. C'est ici qu'il a appris à naviguer. C'est ici qu'il a fait ses premières armes en dériveur puis sur les bateaux des aînés. Il a vingt ans tout juste quand il débarque sur le circuit Figaro, tout en continuant de mener des études au sein d'une école de commerce. La voile n'en est qu'au tout début de la professionnalisation ; en vivre est encore une gageure. Petit à petit, le jeune homme franchit les paliers qui l'amèneront à cette année 2005 où il rafle tout : Champion de France en Solitaire, il remporte l'ensemble des épreuves du circuit, y compris la mythique Solitaire du Figaro. De 1997 année de ses débuts, à 2005, il a déjà glané un titre de Champion de France, accédé plusieurs fois au podium de la Solitaire du Figaro.

La victoire de 2011 n'est pas que celle d'un doublé réservé à une poignée de coureurs. C'est aussi celle de l'achèvement d'une métamorphose. En 2005, quand il avait emporté le grand chelem, Jérémie Beyou se devait de combattre perpétuellement de vieux démons. Lui, le navigateur exigeant avec lui-même, perfectionniste jusqu'au bout des ongles, n'avait de cesse de s'inquiéter d'un revers de fortune improbable, au point de donner le sentiment qu'il en gâchait une part de son plaisir. Pourtant, la victoire appelant d'autres ambitions, c'est somme toute assez logiquement, qu'il envisageait de partir sur le Vendée Globe 2008-2009. Mais parfois le chat noir décide de vous mettre des bâtons dans les safrans. C'est tout d'abord, une Route du Rhum qui se termine avant même d'avoir pu entrer dans le vif du sujet. Des raisons familiales impérieuses mettent fin à l'expérience. Pour Jérémie, la blessure est vive, même s'il ne regrette à aucun moment sa décision. Par la suite, deux démâtages dans la Barcelona World Race puis dans le Vendée Globe, conjoints d'un contexte économique difficile, auront finalement raison de la volonté de son partenaire de continuer l'aventure.

Paradoxalement, c'est peut-être là que Jérémie Beyou a trouvé la force de rebondir. En embarquant en 2009 aux côtés de Michel Desjoyeaux, il y découvre que l'on peut associer une féroce envie de gagner et une certaine décontraction. Il multiplie les expériences entre le monocoque de Michel et le trimaran géant de Pascal Bidégorry. Il affiche dès lors une joie de vivre et une sérénité nouvelle qui va se manifester dès l'été 2009, quand avec la seule aide d'une famille mécène, il enquille deux étapes de la Solitaire du Figaro, et devient un candidat plus que crédible à la victoire finale.

L'héritage est un don pour celui qui sait le recevoir : ainsi, très vite, Jérémie a pris conscience que sa génération, celle des trentenaires d'aujourd'hui, a bénéficié des premier pas du professionnalisme : « Les Jean Le Cam, Roland Jourdain, Michel Desjoyeaux nous ont ouvert la voie. Eux ont connu cette époque où le fait de gagner un peu d'argent était l'exception... Alors, même si c'est parfois difficile, on doit se rappeler que nous sommes plutôt des privilégiés. On est arrivé au bon moment. » Dans le même temps, les jeunes pousses montrent de l'étrave, ce qui n'est pas pour lui déplaire : « Dans la voile, on ne peut pas se satisfaire d'a priori. Que des gars arrivent avec d'autres méthodes d'entraînement, une autre approche des avancées technologiques, des ambitions, ne peut que nous faire progresser. »

Alors, si Jérémie avoue encore qu'une certaine dose de souffrance peut être parfois un ressort essentiel pour la gagne, il laisse maintenant transparaître une sérénité nouvelle, celle d'un homme qui a su digérer ses échecs pour en tirer les enseignements. Quand on a touché le fond, et que l'on sait rebondir, on porte forcément un autre regard sur les petites contrariétés qu'amène fatalement une compétition aussi acharnée que la Solitaire du Figaro. « Si je suis repris après avoir été longtemps devant, je ne gamberge plus. Je sais que c'est comme çà, qu'il faut en remettre une couche, c'est tout... » Le compétiteur implacable est toujours présent, mais il dispose maintenant d'une confiance renforcée dans ses capacités... Après tout, c'est peut-être ça, l'état de grâce.

Son palmarès :
Solitaire du Figaro :
12è participation et 50 étapes courues dont :
- 2 victoires générales (2005 - 2011)
- 6 victoires d'étapes (2005 - 2009 - 2011)
2011
Préparation Transat Jacques Vabre avec Jean-Pierre Dick sur Virbac-Paprec 3
2010
Tentative Trophée Jules Verne . Banque Populaire V
7ème Solitaire du Figaro sur BPI
Transat AG2R sur Generali avec Yann Eliès
2009
4ème Transat Jacques Vabre avec Michel Desjoyeaux (Foncia)
1er Cap Istanbul (Foncia)
2 victoires d'étape sur la Solitaire du Figaro (Bernard Paoli)
2008
Abandon dans le Vendée Globe (Delta Dore)
2007
2ème Calais round Britain race (Imoca 60 Delta Dore)
 Barcelona World Race avec Sidney Gavignet ab
2006
8ème Transat AG2R avec Vincent Riou
2005
1er Solitaire du Figaro
Champion de France de Course au Large en Solitaire
Champion Orma (trimaran Banque Populaire)

Source : Kaori / Jérémie Beyou