Volvo Ocean Race / Tranche de vie à bord de Groupama 4 par Thomas Coville

"Pour commencer, je recommence ce billet pour la seconde fois. Une panne d’écran ayant fait disparaitre mon premier texte. L’exercice de vous écrire n’est pas si facile. L’ambiance à bord n’est pas toujours propice à s’asseoir par terre et à taper avec des doigts encore mouillé sur un écran d’Ipad qui parait bien fragile dans cet univers."

Credit : Y. Riou / Groupama

"Cela demande de s’extraire du jeu et de cette concentration permanente que cela demande de vivre à bord pour être capable d’écrire. Prendre ce recul est plus facile pour moi lorsque je suis seul en mer. Cette vie en équipage a ses codes et ses habitudes.

Trois personnes sont au contact avec l’extérieur, Franck (Cammas), le skipper,
Jean-Luc (Nélias), le navigateur et Yann (Riou), le Média Man, les autres, nous vivons dans cette capsule coupée du monde où, finalement, le rythme des quarts organise tout et codifie tout.

Chaque geste, habitude, est orchestrée et rentre dans un timing que rien ne dérange sans une bonne raison. Prendre le temps d’écrire est presque se déconnecter du reste de l’équipage pour reprendre contact avec le monde extérieur, comme si le lien ne supportait pas d’être brisé ni de baisser en intensité. Le groupe ne supporte pas l’infidélité ou de devoir choisir une autre cause. L’adhésion doit être totale ou n’est pas.

Nous avons tenté une option en sortant du détroit de Gibraltar qui finalement ne nous portera pas jusqu’au bout. C’était audacieux et ambitieux mais la sanction est lourde. Nous croisons loin derrière. Au passage des iles du Cap Vert, notre retard est de 250 milles et l’addition n’est pas finie.

Les alizés n’ont pas supporté le front qui traverse tout l’Atlantique Nord et nous sortons à peine de trois jours sans vent où les nerfs ont été menés à rude épreuve. En dehors de la frustration de ne pouvoir exploiter le potentiel de Groupama 4, c’est plus le fait de ne pas être au contact et en duel réel avec les autres que je trouve le plus difficile à vivre.

Tenter une option fait partie intégrante du jeu et c’est même très important de se sentir suffisamment libre pour se lâcher mais j’avoue que je suis venu sur cette course autour du monde pour en découdre et je me retrouve un peu dans la même position que celle du chasseur de record sur Sodebo où je cours plus derrière le temps et l’inexactitude des fichiers météo qui nous aident à bâtir nos stratégies que contre la vitesse des bateaux autour.

Cette première confrontation que j’attendais tant sur cette étape n’aura eu lieu que jusqu’à la sortie de la Méditerranée. Il y en aura d’autres mais l’émulation des concurrents est irremplaçable. Je suis presque en train de vous dire que Camper, Puma ou Telephonica me manquent. Et c’est vrai ! Je me sens vraiment toujours aussi passionné et j ai besoin de sentir cette compétition pour avancer plus loin.

Le groupe est resté super fort et soudé derrière la décision de Franck et Jean-Luc. Il n’y a pas de doute que nous allons ressortir grandis de cette première étape. Nous sommes maintenant dans la position du chasseur et les opportunités à venir ne manqueront pas. Le Pot au Noir tout d’abord, avec son lot de scenarios improbables, l’alizé du Sud-Est ensuite qui peut être musclé, l’anticyclone de Sainte-Hélène, un bon ami avec qui je joue tous les hivers ou presque et qui, comme toutes les Hélène, reste capricieux. Il offrira, j’en suis sûr, beaucoup de surprises.

Never give up ! C’est sans doute ce qui reste de plus fort chez moi dans toutes circonstances. J’ai appris ca pendant mes tours du monde en solo avec Sodebo et nous ne sommes qu’à un tiers de la première étape de cette Volvo Ocean Race !

Cela promet !

Bonsoir chez vous.

A + Tom."