Laurent Bourgnon nous a quittés, la lettre d'Yvan à son frère : "Tu nous a tous transcendés"

Jeudi 25 juin, la nouvelle tombe. Parti plonger dans un atoll polynésien, Laurent Bourgnon n'est pas remonté. Cet immense marin, agé de 49 ans, nous a quittés. Yvan Bourgnon prend la plume et s'adresse à son grand frère. "Je t'aime frérot"


Crédit : E Allaire

"Jambo" fait route vers Tahiti, il est 5h30 et l'on vient d'arrêter les recherches. Ce n'est pas un hasard si la pleine lune couchante devient notre cap naturel: tu es au rendez vous pour nous faire tes adieux. Cette même lune que l'on contemplait ensemble il y a encore si peu de temps ...

Dans quelques secondes un nouveau jour va apparaitre, une nouvelle vie...

Le chagrin est immense et notre seul réconfort est de te savoir parti exactement comme tu l'avais imaginé, sans traces, dans une véritable passion des profondeurs bien au delà du bonheur que tu avais sur l'eau. Je me souviens de toi avec Marc, ton pote Marquisien: tu avais 14 ans, tu découvrais la pêche, la chasse, les cocotiers ... vous n'aviez pas besoin de mots pour vous épanouir. Simplement des regards, des attitudes pour partager bien plus que du bla-bla...

On a jamais su se dire que l'on s'aimait, que l'on avait besoin l'un de l'autre, pourtant on était en communion parfaite. Quand on gagnait des courses ensemble nos gestes étaient coordonnés, pas besoin de parler: on avait trouvé notre potion magique à nous. Je sais maintenant où j'ai puisé toute cette détermination et ce mental inébranlable. Tu m'as tout appris et le jour où tu as su que ton frère avait trouvé l'harmonie et la réussite tu as fait le choix de partir.

Tu as formé toute une génération de marins et de préparateurs avec Thomas Coville et bien d'autres mais surtout tu nous as tous transcendés. Nous nous foutions complètement de notre salaire, récompensés par la joie de faire partie de ton aventure. Apprendre à tes cotés était un privilège. Tu avais ton propre carburant, un savoureux mélange d'humanité et de perfection technique qui a toujours bluffé ton entourage...

Nos parents avaient appelé notre bateau familial "PEEMORPEN" (tête de cochon en Breton), notre chère mère en a récupéré trois d'un coup, avec la palme pour toi qui ne voulais jamais rien lâcher.
Pourtant, en revenant en Polynésie il y a huit ans, tu avais enfin décidé de t'accorder du temps avec ta famille, de profiter de tout ce que tu avais construit avec une réussite hallucinante: tu nageais dans le bonheur avec tes proches. Tu nageais aussi pour ta nouvelle passion qui t'a emporté à jamais, dans ton atoll préféré au milieu de la passe Otugi que tu affectionnais particulièrement.

Mais que fais tu de tout l'amour que l'on a pour toi? Celui de Lou, de Basile, de Justine, de Jules, de Caroline, de nos tendres parents qui nous ont tout donné et de tous ceux qui t'aiment.

Moi qui n'ai jamais connu une telle souffrance par le passé, tu m'auras fait découvrir celle qui me manquais; mais as-tu oublié que l'on avait encore besoin de ton amour?

Je t'aime frérot, je te promet de faire le maximum pour prendre soin de notre petite famille."




Images : E Allaire - Sphinx
par la rédaction 
Source : Yvan Bourgnon