Anthony Marchand de retour en course après un arrêt en Nouvelle-Zélande, "une envie folle de faire ce tour du monde"

 

Le skipper d’Actual Ultim 3 doit s’employer à bord de son bateau avec un foil bâbord en moins et le foil tribord bloqué en position haute. Qu’importe, le trentenaire sait profiter malgré l’adversité et continue à progresser avec le cap Horn en ligne de mire. Anthony Marchand, actuel 4e de l'Arkéa Ultim Challenge raconte en pleine nuit au cœur du Pacifique. 

Crédit : A marchand


Est-ce que tu peux décrire l’atmosphère du moment à bord d’Actual Ultim 3 ?

« Il fait nuit noire, j’ai des petites alarmes qui clignotent. Et sinon il y a de grosses déferlantes, des écumes, de la grisaille, de la pluie… C’est la tempête ! Tu te rends compte de la différence entre les mers du Sud et l’Atlantique. La manière de naviguer est complètement différente, l’atmosphère aussi. En termes d’énergie, tout est décuplé. Tu n’as pas le droit d’avoir des moments de détente !

Après plus d’un mois de compétition, comment te sens-tu ?

« Je suis content d’être reparti après mon escale en Nouvelle-Zélande. Je me rends compte que j’avais une envie folle de faire ce tour du monde. Je suis content d’être là même si ce n’est pas évident la navigation sans foil… J’ai hâte de passer le cap Horn !

Justement, tu navigues avec un foil bâbord en moins et le foil tribord bloqué en position haute… Concrètement, qu’est-ce que ça implique ?

« Sans foil, les flotteurs sont dans l’eau, les vagues s’éclatent contre les bras avant, contre la bâche aérodynamique, les mouvements fragilisent le bateau, les alarmes retentissent… J’essaie de décaler le seuil de gîte vers le haut mais la navigation n’est pas du tout agréable. Tu te rends compte à quel point les foils emmènent certes beaucoup de vitesse mais aussi énormément de confort. Et quand tu n’as plus leur usage, le confort disparaît !

Comment on y fait face ?

« C’est comme ça, il faut faire avec ! Ça ne sert à rien de cogiter, il faut continuer à avancer et essayer de ne pas y penser.

Tu as fait deux escales, en Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande. Qu’est-ce qui est le plus dur lorsqu’on s’arrête ?

« Déjà, il y a la décision à prendre : même si c’est une évidence, c’est parfois dur de se l’avouer. Ensuite, tu as parfois 24 à 48 heures avant d’arriver au port et ce temps-là, il est interminable, c’est le plus difficile. Et dès que tu arrives, tu te mets à bricoler et à tout préparer pour repartir au plus vite et surtout rester dans ta course.

À Dunedin en Nouvelle-Zélande, tu as mis pied à terre pour aller chercher des aliments frais au supermarché… Comment as-tu vécu ce moment ?

« Tu es forcément en décalage en poussant ton caddie, d’autant que ça faisait des semaines que je ne m'étais pas lavé. J’essayais de me concentrer sur les produits frais que je voulais prendre en allant vite pour retourner sur le bateau. Même si le moment est un peu étrange, j’ai essayé de ne pas trop réfléchir en faisant attention à rester en « mode course », à ne pas penser à autre chose. Quand tu poses pied à terre, il faut faire attention parce que tu peux rapidement te mettre à apprécier à nouveau le confort et un train de vie plus tranquille.

Comment qualifies-tu ta traversée de l’Atlantique ?

« J’ai eu 30 à 40 nœuds toute la journée d’hier, des rafales à 45 nœuds, une mer de 5 mètres… Je suis dans le mauvais côté de la dépression, j’essaie de trouver les bonnes configurations de voile pour ne pas avoir à forcer. J’ai eu 48 heures très dures et là, je vais vers du mieux. Il va falloir être vigilant parce qu’à partir de jeudi, vendredi prochain, je vais rencontrer une grosse dépression avant le cap Horn. Il faudra savoir si je réussis à passer devant ou s’il faudra la laisser passer et donc ralentir. Ce sera une décision stratégique qu’on devra prendre !

As-tu eu la sensation depuis le départ d’avoir puisé dans tes retranchements ?

« Oui complètement. Il y a peu de moments dans une vie où tu es autant dans tes retranchements justement ! C’est une sensation géniale parce que ça te fait avancer et grandir. Dès que tu as résolu un problème, tu te dis que tu n’as pas la force d’en résoudre un autre. Et puis tu n’as pas le choix et tu te retrousses les manches encore. Ce qui n’est pas facile psychologiquement, c’est quand la météo n’est pas à ton avantage mais on trouve toujours des forces et du bonheur quelque part.

Il est où le bonheur d’ailleurs ?

« Il est dans le fait de réaliser que l’on fait un tour du monde, en solitaire et en ULTIM. Même si le bateau n’est plus à 100% de ses capacités, c’est génial d’être là. J’ai rêvé de ce challenge, de ce tour du monde et même si c’est dur, je n’ai pas le droit de baisser les bras.

Quel regard portes-tu sur la course de Charles ?

« Charles a super bien navigué et il a réussi à creuser l’écart au début. Il a l’air d’avoir un bateau en très bon état. C’est top pour lui et ça récompense le super travail de son équipe technique, de son équipage de routage… Gitana est une équipe que j’apprécie beaucoup, je suis très content pour eux.

Est-ce qu’il t’arrive de t’ennuyer à bord ?

« Non pas vraiment parce qu’il y a toujours du stress. Ce n’est pas un stress qui est lié à la peur, c’est un état nécessaire pour être en permanence à l’écoute du vent, d’une risée, d’une alarme qui sonne. Finalement, c’est lorsque les conditions sont très calmes et qu’on est dans la pétole que je n’arrive pas à dormir. Il faut que je renvoie de la toile et qu’il avance vite ! Ça va faire bizarre de se retrouver à terre à l’arrivée et de ne plus avoir ce stress-là !

La solitude est-elle pesante ?

« Non je ne trouve pas. Nous sommes beaucoup en communication avec l’équipe technique à terre. Tu sais qu’il y a en permanence des personnes qui te suivent sur la cartographie et inconsciemment, ça fait une présence. Finalement, tu te sens plus seul dans un convoyage lambda sans enjeu !

Source : Rivacom