Vendée Globe / Tout est bien...

Qui finit au mieux ; au terme d'une journée forte en émotions qui aurait pu tourner au cauchemar, Jean Le Cam, victime d'un chavirage en milieu de nuit hier mardi à 1 heure 26 (heure française), a pu quitter son VM Matériaux retourné et à demi immergé, et rejoindre à 19 heures 10 (heure française) le bord du PRB de Vincent Riou accouru en compagnie d'Armel Le Cléac'h (Brit Air) à son secours. Marqué par la fatigue et par l'épreuve de ces 18 heures passées dans l'obscurité et le froid de son bateau retourné, Jean Le Cam, toujours aussi badin et prompt à l'humour, est revenu ce matin sur les détails de son chavirage et de son sauvetage.


Un chavirage en direct :
L'histoire est décidément faite d'improbables coïncidences ; les deux rivaux acharnés de l'édition 2004-2005 du Vendée Globe conversaient par téléphone la nuit dernière quand est survenu l'incident qui allait précipiter le chavirage de VM Matériaux : "C'est incroyable mais j'étais au téléphone avec Vincent quand j'ai senti un choc sous le bateau! j'ai immédiatement pressenti un problème grave. Le bateau s'est tout de suite couché, puis a chaviré. J'ai eu le temps de regarder sur l'arrière du bateau et je n'ai rien vu. C'est pourquoi je pense avoir peut-être touché un conteneur qui flotte entre deux eaux. Nous étions sur une route maritime et ici comme chez nous, il y a des objets qui flottent sur l'eau. Mon premier geste a été d'attraper ma combinaison de survie. J'ai tout de suite pensé au froid. Il fallait m'organiser en conséquence. L'eau entrait dans le bateau! J'ai attrapé ma couverture mouillée et mon "pouf" (le matelas rembourré qui lui servait de lit ndlr) et je me suis confectionné un petit "nid" à l'étrave, seule partie du bateau qui n'était pas dans l'eau...."

en direct de PRB avec Le Cam et Riou



La décision de sortir du bateau...
Enfermé dans son bateau avec la trappe se secours immergée, Jean n'a d'autre choix que d'attendre l'arrivée des secours. Les balises de détresse ont été déclenchées. Il sait que les secours doivent s'organiser. Il sait aussi qu'au moment de son chavirage, au moins deux concurrents, Armel Le Cléach sur Brit Air et Vincent Riou et son PRB étaient derrière lui à environ 200 milles. S'armant de patience, Jean lutte contre le froid et espère que son bateau ne va pas s'enfoncer davantage."Dans ces moments-là, on ne sait pas de quoi la résistance humaine est faite. Combien de temps un homme peut-il tenir dans un espace de quelques mètres cubes? On perd la notion du temps. J'ai cru entendre quelqu'un crier. Là encore, on se demande si c'est son imagination... puis j'ai entendu un nouveau cri. J'ai compris que Vincent était là... je suis allé vers l'arrière du bateau qui était dans l'eau, avec le gennaker en travers. J'ai compris que je n'avais qu'une balle dans le barillet, un seul coup à tirer. Si je sortais, il fallait que Vincent soit là tout de suite. Je suis revenu un moment au sec, puis je me suis décidé. J'ai foncé vers la trappe de survie, j'ai viré tout ce qui était en travers de ma route. La trappe a cédé et je savais qu'il me fallait prendre appui sur le matrot de l'éolienne. Je m'étais rappelé de mon chavirage avec Eric Tabarly et j'ai pensé à prendre un bout pour m'arrimer au safran une fois dehors. J'ai poussé avec les pieds en avant... puis ce fut l'accouchement! Aidé par une vague, je suis sorti en m'accrochant à l'éolienne. Une fois la tête hors de l'eau, j'ai regardé tout autour et j'ai vu Vincent... et alors là... là...."

Riou décisif!
Vincent Riou a cravaché comme un fou pour rejoindre au plus vite la zone de chavirage de VM Matériaux. Sa conversation interrompue avec Jean l'a convaincu qu'il se passe quelque chose de grave. L'alerte donnée par la direction de course ne fait que confirmer ses craintes. Il se coordonne avec Armel Le Cléac'h une vingtaine de milles derrière lui.
Lorsqu'il arrive sur zone, la mer est grosse et il ne peut localiser le bateau fuschia retourné. C'est l'énorme tanker Bahaméen qui lui permet de localiser la coque retournée. Vincent s'approche et hurle en jetant des objets sur la coque. Jean lui répond, en criant, en agitant un petit fanion par le "passe coque", puis en lançant via ce même "passe coque" une fusée parachute. Jean est vivant ! enfermé dans une coque dont l'arrière enfoncée sous l'eau inquiète vivement Vincent Riou. Le skipper de PRB sait grâce à la direction de course que la Marine Chilienne mobilise des moyens importants pour accourir au secours de Jean. Mais Riou perçoit l'urgence ; "J'ai senti dans les cris de Jean une détresse. Le froid, la précarité du bateau... tout cela incitait à agir vite. Armel est alors arrivé et nous n'avions qu'une crainte, que Jean s'extraie du bateau sans que l'un ou l'autre de PRB ou Brit Air ne soit à portée pour le récupérer. On a décidé de tourner autour de VM Matériaux à tour de rôle. Quand mon tour est arrivé, j'ai tout de suite discerné une drôle d'activité à l'arrière de VM Matériaux. J'ai vu des caisses sortir du bateau, et j'ai compris que c'était maintenant ou jamais. Je me suis approché et j'ai vu Jean sortir en combinaison. Il m'a fait signe et a pu monter et s'accrocher au safran de son bateau... J'ai tenté à 4 reprises de lui lancer un bout... la quatrième tentative a été la bonne et à l'aide d'un winch, j'ai pu hisser Jean à Bord de PRB.

"Un sauvetage périlleux.
Au mépris de la sécurité de son propre voilier, Vincent Riou a tenté le tout pour le tout pour sauver Jean. Au moment où Jean agrippe son bout, Vincent entend un craquement..."Il me fallait m'approcher au maximum pour avoir une chance d'attraper Jean. J'ai tenté le tout pour le tout et me suis approché au maximum. Les coques ne se sont pas touchées mais au moment où je hissais Jean, une vague a poussé PRB vers VM Matériaux et mon "outrigger" bâbord (tangon qui aide à soutenir le mât aile de PRB) a heurté le voile de quille de VM Matériaux et s'est cassé. Jean est monté à bord et tout de suite a vu que le mât penchait de 30 degrés. Nous nous sommes mis au travail pour tenter de sécuriser le mât...."

Jean et Vincent ont ainsi passé la nuit en faux solitaires et en vrais frères de fortune. La question du débarquement de Jean devrait se régler rapidement avec une prise en charge du skipper de VM Matériaux à Ushuaïa par la navigatrice Isabelle Autissier présente dans ces parages. Demeure la problématique du retour en course de PRB ; Vincent doit intervenir sérieusement sur son outrigger et mettre en place une réparation solide lui permettant d'envisager un retour en course. C'est le jury du Vendée Globe qui examine en ce moment son cas, afin de déterminer quel niveau d'assistance Vincent "le terrible" peut obtenir pour poursuivre dans les règles son Vendée Globe...


Source :VM Matériaux
Crédit photo : Riou/PRB/Vendée Globe