Barcelona World Race / Dénivellation atlantique

Si la mer et le vent sont encore maniables, ils sont en cours de renforcement et ce changement de décor va intéresser les trois quarts de la flotte d’ici mardi soir. Ce nouveau tempo bénéficie dans un premier temps au troisième, MAPFRE qui approche de l’île Gough alors que le peloton commence à quitter les filets de l’anticyclone de Sainte-Hélène.

© María Muiña

Les bras de Sainte-Hélène ont enlacé la majorité de la flotte de la Barcelona World Race pendant plus de dix jours ! Entravé serait plus juste quand il faut constater que certains duos n’ont fait qu’alterner de modestes alizés d’Est et des calmes à répétition… Le plus grand perdant de cette progression par à-coups est sans conteste Mirabaud : Dominique Wavre et Michèle Paret ont vu des bateaux les contourner à moins d’une vingtaine de milles à plus de six nœuds quand eux n’apercevaient aucune ride sur l’eau ! C’est particulièrement le cas vis à vis de Pachi Rivero et Antonio Piris qui concédaient 120 milles il y a à peine six jours et alors que Renault ZE a pratiquement suivi la même trajectoire que le voilier suisse, il est ce lundi midi quarante milles devant… On peut comprendre qu’un certain abattement pèse sur les épaules de plusieurs duos. Surtout quand l’échappée des deux leaders prend une tournure aussi radicale : plus de 600 milles (1222kms) qui ne font que se multiplier au fur et à mesure que deux voiliers français approchent du premier des trois caps de ce tour du monde.

Du creux et des vagues
Car c’est une « maousse costo » qui défile (heureusement) largement au Sud de la zone de course : avec 955 hPa annoncés mercredi, la tempête qui se creuse depuis son passage sur les îles Sandwich du Sud va générer des vents de plus de soixante nœuds près de son centre et de près de quarante nœuds au Sud de l’île Gough. Le dénivelé est impressionnant puisque l’anticyclone de Sainte-Hélène approche les 1025 hPa : ce gradient de 70 hPa entre deux centres séparés de 900 milles est une véritable falaise à-pic à l’échelle de l’atmosphère entre le vaste « plateau » de hautes pressions et le « cratère » de la dépression. La pente en résultant a ainsi des allures de piste de bobsleigh…

Mais c’est aussi une mer très forte et chaotique qui va se former puisque de Nord-Ouest à son approche, la brise va tourner rapidement au Sud-Ouest derrière le front froid associé : deux trains de houles et de vagues qui se croisent et se percutent. Les conditions de navigation vont donc très rapidement se durcir pour presque toute la flotte, accrochant en premier lieu le cœur du peloton en approche de l’île australe. Déjà, par sa position plus Sud, MAPFRE sent le régime d’Ouest se renforcer et basculer lentement au Nord-Ouest avec un ciel de plus en plus couvert, signes annonciateurs de l’arrivée imminente de cette dépression.

Dans un premier temps sur une mer encore lisse, l’accélération va être sensible et Iker Martinez et Xabi Fernandez vont pouvoir décrocher le peloton et rattraper un peu les deux leaders. Mais en quelques heures, le paysage va s’obscurcir et l’horizon devenir de plus en plus flou sous l’influence de vagues de plus en plus grosses et devenant pyramidales avec la rotation au Sud-Ouest. Les Quarantièmes Rugissants seront bien là. Et la manière de naviguer risque de s’en ressentir : avec les vents glaciaux de Sud-Ouest venus de la banquise, avec une mer désordonnée, avec un ciel de traîne rempli de grains violents, le tempo n’est plus le même. L’entrée en matière s’annonce très musclée et surprenante pour qui n’est jamais allé dans le Grand Sud !

Chemins de traverse
Le peloton arrivera-t-il à accrocher le wagon sur la face occidentale de cette tempête : probablement les deux premiers, c’est-à-dire Groupe Bel et Estrella Damm qui touchaient déjà ce lundi matin une brise d’Ouest qui s’installait progressivement. Les spinnakers ont fleuri mais ils vont vite faire place à un petit gennaker, voire à un simple génois… Les deux duos ont compris qu’il leur fallait d’abord gagner dans le Sud pour toucher ces nouveaux vents et dès le coucher du soleil, le rythme va s’accélérer. Ce ne sera pas encore le cas pour leurs poursuivants directs qui ont encore une cinquantaine de milles à parcourir pour sentir les bouffées de brise : là encore, la voie pour s’extraire des tentacules anticycloniques n’est pas tracée clairement. Quant aux retardataires, la tempête se décale si vite qu’ils ne la verront même pas passer ! Après une nouvelle zone de transition, il leur faudra attendre le prochain train de dépression, probablement mercredi…

L’âge de glace
Il serait réducteur de penser que le réchauffement climatique constaté dans l’atmosphère terrestre soit uniquement à l’origine de la concentration de glaces dérivantes constatée ces dernières années, grâce à des moyens technologiques qui n’existaient pas il y a peu (images satellites, échos radar, ondes Doppler…) ! D’abord parce que l’effet touche principalement l’hémisphère Nord et que le continent antarctique n’a ni la même configuration, ni le même comportement, ni la même étendue que l’océan glacial arctique. De fait, un réchauffement atmosphérique de 2°C sur une banquise où soufflent des vents descendant la température à -40°C, n’a pas d’influence majeure. De plus, un réchauffement significatif a pour conséquence une augmentation de la teneur hygrométrique de l’atmosphère, ce qui entraîne un accroissement des précipitations. Or de plus de neige accumulée découle plus de glace compressée… Les glaciers glissant dans la mer de Weddell sont à l’origine de la banquise qui se fractionne en pack au cours de la saison estivale. Savoir si c’est l’augmentation de la couche ou si c’est l’élévation de la température qui est le facteur dominant dans ce processus de glaces dérivantes est une question complexe et loin d’être résolue. Car en fait, très peu de navires sillonnent ces régions subpolaires, et seules les images satellites permettent de mieux appréhender le cycle des glaces.

D’autre part, une plaque de glace qui peut atteindre des dimensions colossales lorsqu’elle se sépare de la banquise (plusieurs millions de km², soit quelques centaines de milliards de tonnes) met une saison voire plus pour se désintégrer totalement et ce n’est pas tant le réchauffement de l’atmosphère et de l’eau de mer qui contribue à sa disparition, mais l’érosion. Or une grosse tempête comme celle qui passe actuellement sur les Cinquantièmes Hurlants est un facteur conséquent de fractures, de désintégration et donc de dispersion de la glace en plus petits morceaux… C’est avec une attention soutenue que la Direction de Course de la Barcelona World Race suit l’évolution météorologique et le déplacement des icebergs repérés, (et donc les growlers associés qui se déplacent plus vite que les gros blocs) car ils peuvent parcourir plus d’une vingtaine de milles par jour lorsque la mer se creuse sous l’influence d’un fort coup de vent…

Classement du 24 janvier à 15 heures :
1 VIRBAC-PAPREC 3 à 19 142 milles de l’arrivée
2 FONCIA en mode « furtif »
3 MAPFRE à 476 milles
4 GROUPE BEL à 622 milles
5 ESTRELLA DAMM Sailing Team à 634 milles
6 RENAULT Z.E à 687 milles
7 MIRABAUD à 729 milles
8 NEUTROGENA à 775 milles
9 GAES CENTROS AUDITIVOS à 790 milles
10 CENTRAL LECHERA ASTURIANA à 902 milles
11 HUGO BOSS à 927 milles
12 WE ARE WATER à 994 milles
13 FORUM MARITIM CATALA à 1 063 milles
ABN PRESIDENT

Source : Barcelona World Race