ITW / Fin prêts, les skippers de la Solitaire du Figaro se confient

A Paimpol, le départ de la Solitaire approche. L'occasion de faire le point avec quelques skippers. Anciens ou jeunes prometteurs, ils se confient.

Fred Duthil en ITW avant le départ de la Solitaire
Credit : A.Courcoux


Frédéric Duthil (Sépalumic) : « La faculté à se faire mal mentalement prévaut sur le physique »
« Depuis quelques années, le niveau de prépa physique des marins a vraiment augmenté. Nous avons tous un fond physique hyper correct, nous sommes vraiment des sportifs. Mais pendant une étape, je pense que c'est dans la ‘tronche' que ça se joue, à 80 %. Physiquement, les seuls trucs qui peuvent te faire mal, ce serait d'enchaîner trois envois de spi dans l'heure et encore, ce n'est pas démesuré. Remonter un mouillage, par contre, c'est un effort intense. Mais globalement, le bateau n'est pas physique. On n'est pas dans un semi-marathon ou un triathlon. C'est plus de la résistance pure. Est-ce que tu acceptes de te faire mal ou pas pour aller faire une manœuvre que tu n'as pas envie de faire, comme aller choquer 20 cm de barrer en fin d'étape…. La faculté à se faire mal mentalement prévaut sur le physique. Il faut avoir l'envie, la motivation. Et certains ont toujours plus faim que d'autres. »

Yann Eliès (Morbic) : « C’est dans la tête que tu te transcendes »
« Pour résister au sommeil, il faut être en forme physiquement. Par contre, je pense que pour parvenir à dépasser ses limites, pour se transcender sur le dernier mètre ou la dernière heure de course, c'est dans la tête que tu vas le chercher. J'ai pas mal bossé avec des préparateurs mentaux pour arriver à bien gérer les fins d'étapes (souvent, je perdais des places) et j'ai des marqueurs : pour éviter de dormir, pour pousser plus loin dans l'absence de sommeil, je pense à quelqu'un ou à quelque chose. Et ça marche ! Oui, je me suis déjà mis dans le rouge. C'était sur ma première Solitaire, mon pilote était tombé en panne et j'ai essayé de résister. Et puis au bout d'un moment, j'ai vu mon frère qui manœuvrait à l'avant sur le pont. Là je me suis dit : « c'est pas bon, il y a quelque chose qui cloche ».

Jeanne Grégoire (Banque Populaire) : « Je sais me recadrer physiquement et mentalement »
« Le physique et le mental vont l'un avec l'autre. Quand tu es fatigué, tu n'as pas le moral. Depuis quelques années, pendant la course, j'essaye de faire des points toutes les 24 heures où je fais le bilan de ce que j'ai mangé, j'écris sur un papier combien de temps j'ai dormi. Et puis sur le bateau, avec mes problèmes de dos, je fais des étirements, je suis très rigoureuse là dessus. Je m'étire dans la descente, le dos, les bras… Disons que pour ma 10e Solitaire, je me connais bien. Je sais à quel moment ce sera facile ou difficile et recadrer physiquement et mentalement. Cet hiver, pour être en forme, j'ai fait du sport à bloc et j'ai pris du poids. Je me sens mieux sur le bateau quand je me sens « lourde », que j'ai quelques réserves. »

Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) : « J’ai appris à naviguer à l’économie physique »
« Le physique a tendance à se dégrader au fil de la Solitaire avec la fatigue, la nutrition. Si on gère mal ces deux paramètres, si on ne s'hydrate pas assez, ça peut-être problématique. J'essaye d'avoir de la rigueur dans mon fonctionnement. A partir de demain par exemple, je vais aller tous les jours chez les kinés. C'est un petit rituel qui me fait du bien. Et puis j'ai appris à naviguer à l'économie physique, à naviguer sans forcer. Mettre la grand-voile au winch sur les longs bords, lofer un peu pour border les voiles. Ce sont des petits détails mais au bout d'un mois de course, ça joue (…) J'ai déjà connu mes limites. C'était sur mes courses d'avant saison en 2009 : j'étais à fond, je ne gérais rien, je n'avais pas du tout dormi et là tu te fais peur, tu te retrouves avec des hallucinations. Mais aujourd'hui (4e Solitaire), j'ai trouvé mon rythme, ma façon d'être au large. »

Morgan Lagravière (Team Pole Vendée) : "Je sais ce que je suis capable d’endurer"
« L’an dernier, j’étais arrivé sur la Solitaire avec seulement huit mois de pratique du Figaro Bénéteau 2. J’ai énormément travaillé cette dernière année. Je connais mieux le bateau, ses réglages, ses petits trucs. Avec l’expérience des courses, j’ai également progressé tactiquement. Et puis surtout, je me connais mieux ! Je sais ce que je suis capable d’endurer, jusqu’où je peux aller… Je suis conscient de mes forces, mais je connais aussi mes faiblesses. J’ai une telle envie de bien faire, une telle motivation à repousser mes limites, que j’ai parfois du mal à dire stop. Quand je lâche la barre pour me reposer ou pour m’alimenter, je culpabilise. Or, sur des étapes aussi longues que celles qui nous attendent, c’est impératif. Il y a des favoris logiques comme Yann Eliès, Nicolas Lunven ou Gildas Morvan. Je pense que je fais partie de la douzaine de skippers qui peuvent l’emporter. Personnellement, je pars du principe que pour gagner la Solitaire, il faut déjà ne pas la perdre ! ça paraît une évidence, mais ça se joue sur tellement de détails… »


Sources : La Solitaire et Pole Vendée