Vendée Globe / Alain Gautier : « Ne jamais penser qu'on va gagner »

Ancien vainqueur du Vendée Globe, Alain Gautier sait de quoi il parle : « À l'approche de l'arrivée, tu n'as aucun répit. »Trois tours du monde au compteur, un succès dans le Vendée Globe 1992-93, le Lorientais connaît les pièges d'une telle aventure. En quelques vérités, il balise le parcours et en détaille les points clés.

Le départ. « C'est un endroit dangereux car les bateaux accompagnateurs sont nombreux. Quelle que soit la course, c'est toujours mieux de partir devant, tu limites les risques. Et puis, il est plus facile de perdre un mille que d'en gagner un. Statistiquement, en cinq éditions, 100 % des futurs vainqueurs étaient en tête au bout de 24 h. C'est parlant, et l'impact psychologique sur la flotte n'est pas négligeable. On ne prête qu'aux riches et, quand tu es devant, tu bénéficies a priori toujours de meilleures conditions. Et ceux qui commencent à être décrochés courent le risque de faire une bêtise. »

Le pot au noir. « Avant, et à partir de cap Finisterre, la vie n'est pas forcément un long fleuve tranquille avec la possibilité d'une petite dorsale à négocier. Aujourd'hui, les bateaux vont plus vite donc on y passe moins de temps. Mais le pot au noir reste une petite loterie. Lors de mon premier Vendée Globe, je l'aborde exactement sur la même longitude que Titouan Lamazou (le futur vainqueur), mais 5 h après lui. À la sortie, j'avais accumulé 24 heures de retard en plus. »

Le cap de Bonne Espérance. « Dans la descente de l'Atlantique, il convient de bien se positionner, plus ou moins à l'Est, ou à l'Ouest, pour toucher au plus vite les alizés. C'est une phase redoutable car les milles perdus peuvent se transformer en centaines de milles. C'est ce qui est arrivé à Mike Golding il y a quatre ans. L'autre question est de savoir s'il faut, ou pas, couper l'anticyclone de Sainte-Hélène. Dans le BOC 1994, Isabelle Autissier y avait décroché le jackpot. »

Le grand Sud. « C'est là que se situe la 1re porte obligatoire par 42° sud et 1° est. Il faut bien négocier les dépressions et les fronts. Dans le sud, tu fonctionnes dans un mode différent, tu n'es plus à 100 % du potentiel de ton bateau. L'expérience y joue un plus grand rôle et un marin comme Bernard Stamm pourrait y être plus à l'aise que d'autres. Mais il n'y a pas de règle absolue. »

Le cap Horn. « Plus tu t'en approches, moins il y a d'échappatoires avec une dépression qui descend le long des côtes du Chili. Le passage du détroit ne présente pas de difficulté majeure, c'est son approche qui est redoutable. On dit souvent que le cap Horn est la porte de sortie et qu'ensuite tout est plus facile. Mais après son expérience d'il y a quatre ans, ce n'est pas Jean Le Cam qui le dira. La victoire est loin d'y être acquise. »

La remontée de l'Atlantique. « La course est loin d'être gagnée, il y a huit ans Ellen MacArthur n'avait pas été loin d'y doubler Michel Desjoyeaux. L'est de l'Argentine, puis du Brésil n'est pas une zone simple, avec d'abord la Cordillère des Andes qui dresse un mur et induit des effets thermiques. Ensuite il y a encore le pot au noir. Il faut réussir le mariage d'aller vite sans prendre trop de risques, tout en prenant les bonnes options. Il faut continuer à mettre du charbon, sauf si tu disposes de cinq jours d'avance. »

La ligne d'arrivée. « Un écart d'une centaine de milles de retard peut permettre au chasseur de tenter un décalage et d'espérer des conditions différentes. Sur le plan météo, même à trois jours, il n'y a aucune garantie. À l'approche de l'arrivée, tu n'as aucun répit. Il ne faut jamais penser qu'on va gagner. »


Recueilli par Olivier CLERC et Éric HORRENBERGER.