SVR Lazartigue, l'Ultim blessé de Tom Laperche, est au Cap, le skipper raconte : "Il y a la mini possibilité de continuer"

 

Arrivés en début de semaine au Cap (Afrique du Sud), après une avarie majeure alors qu’il occupait la deuxième place de l’ARKEA ULTIM CHALLENGE, première course autour du monde en solitaire pour les Ultim, Tom Laperche et le Trimaran SVR - Lazartigue sont désormais en sécurité. Toute l’équipe du Trimaran présente sur place se donne du temps pour étudier toutes les options possibles pour les prochains jours. 


Crédit ; G Gatefait

 


Tom comment allez-vous ?

« Ce n’est pas le top top, mais ça va. Ça va mieux que quand j’ai tapé et les 24 heures suivantes qui ont été compliquées moralement. Au fur et à mesure, ça a été un peu mieux, j’ai essayé de penser à autre chose, de me remémorer les bons moments du début de course. Me projeter sur la suite m’a aussi aidé. Même si c’est dur d’en sortir, on ne peut pas rester éternellement à ruminer et à se lamenter. Au fil des quatre jours pour rejoindre Le Cap, j’ai repris confiance car je voyais que ça ne se détériorait pas et que j’allais y arriver. L’enjeu vital a été assez vite réduit car même si la coque centrale était éventrée et pleine d’eau, il restait deux flotteurs de chaque côté et le bateau n’allait pas couler. J’étais surtout angoissé pour ne pas abîmer davantage le bateau. C’était quand même angoissant car les mouvements du bateau étaient très particuliers. Il y avait entre 5 et 8 m3 d’eau soit entre 5 et 8 tonnes d’eau ! La zone abîmée est en carbone et avec toutes les parties qui n’étaient plus bien tenues, ça faisait des craquements vraiment bizarres dès qu’il y avait un peu de vent et des vagues. Le risque était de ne plus avoir d’énergie ce qui aurait rendu les manœuvres plus compliquées. J’ai réussi à le préserver jusqu’au bout. Nous sommes aujourd’hui dans le concret, avec le diagnostic du bateau, la préparation de la sortie d’eau, la réflexion sur ce qu’on peut faire. Je suis bien entouré avec une bonne équipe. Nous avons tous un lien d’amitié entre nous. Il y a forcément de la déception, mais nous sommes dans un bon esprit.

Avez-vous une idée de la nature de ce choc ?

C’est toujours dur de savoir car ça va vite et on ne voit pas ce que l’on tape. En plus, il faisait nuit et à nos vitesses, on s’éloigne vite de la zone. Le choc était plutôt brutal et dur. Il a fait beaucoup de dégâts. J’imagine plutôt un container. Je n’ai pas la sensation que c’était un animal, même si on ne peut pas en être certain à 100%. Évidemment, si c’est le cas, ça fait de la peine. En tant que marins, nous sommes sensibles à l’environnement qui nous entoure. Cette année, l’organisateur a même défini des zones d’exclusion que nous ne pouvons pas traverser car beaucoup de cétacés y étaient recensés. KRESK, le propriétaire du Trimaran a aussi créé un fonds de dotation Kresk4Oceans qui agit pour la protection des océans. Je suis forcément très sensible à cette cause. Je n’avais jamais été confronté à un choc qui détruit mon bateau. C’est super dur pour soi et pour son bateau. On dit souvent que le bateau a une âme. C’est un peu vrai. Tu vibres pour lui, tu ressens des choses pour lui, tu parles même avec lui de temps en temps. On doit progresser sur les systèmes de détection des animaux et des objets dans l’eau. Ce n’est pas simple mais c’est indispensable. D’autant plus que nous avons des bateaux de plus en plus rapides et l’énergie des chocs est forcément plus importante et plus destructrice.

Vous avez déclaré que c’était le moment le plus dur de votre vie…

On peut certes toujours relativiser sur les choses de la vie. Mais à titre personnel, dans tout ce que j’ai entrepris, c’est clairement le moment le plus dur. Je n’ai que 26 ans mais j’ai déjà fait beaucoup de choses. Ces dernières années, tout s’est super bien enchaîné et dans tous les domaines. Que ce soit dans les relations familiales, amicales, dans le projet sportif, dans les études, tout ça déroulait super bien. C’est un premier échec. J’espère bien sûr qu’il n’y en aura pas d’autres mais je me doute bien que ça arrivera à nouveau. J’ai reçu beaucoup de messages. Beaucoup me disaient que ça me rendrait plus fort. Ça construit pour plus tard, c’est sûr. Mais ça ne peut pas m’aider pour le moment à faire passer la déception.

Avez-vous un sentiment d’injustice ?

Il y a un petit sentiment d’injustice car si tu passes deux centimètres à côté, tu poursuis ta route. Un Tour du monde, c’est beaucoup de choses à aligner et les avaries font partie de la course au large. Et plus généralement les choses qu’on ne maîtrise pas comme la météo, la mécanique et là, ce choc. Cette part d'inconnu, c’est aussi ce qui est attirant et nous donne envie de faire quelque chose qui fait rêver. Et je crois qu’on a réussi à faire rêver pas mal de gens.

La suite justement ?

On a envie d’aller au bout de la démarche. Continuer est une mini possibilité. Mais ce n’est pas simple. Quand j’ai vu les dégâts, j’ai tout de suite compris que ça allait être compliqué. Je ne voulais pas y croire. Plusieurs fois pendant les 24 heures qui ont suivi le choc, je me disais que j’allais trouver une solution pour continuer cette course. Je voulais me battre. Je retournais voir, j’ouvrais toutes les trappes, je me penchais pour observer ce puits de dérive, mais je voyais bien que c’était colossal et que je devais déjà essayer de rejoindre Le Cap. Et pourtant j’y retournais régulièrement pour essayer de trouver une solution. J’ai fini par me rendre à l’évidence.

Il faut bien comprendre qu’au Cap, rien n’est facile. On a un Ultim pour lequel il est dur de trouver de la place. Il faut trouver la bonne grue, avoir les autorisations, la logistique, rien n’est simple. On bosse beaucoup avec nos connaissances locales mais ce n’est pas simple. Ça ne va pas aussi vite que nous espérerions mais on se bat et on y met beaucoup d’énergie.

Quelles sont les hypothèses ?

Il y a la mini possibilité de continuer. Sinon, soit un retour du bateau par cargo ou bien réparer de façon rapide avec une sorte de pansement pour rendre le bateau étanche et le ramener par la mer à vitesse réduite sans dérive.

Dans tous les cas, je suis fier de ce qu’on a réussi à faire. Nous avons réussi à mettre le bateau à l’eau deux jours avant le départ du tour du monde, et être au top niveau de sa performance dès le début de la course. Nous avons toujours été aux avant-postes et dix jours en tête de la flotte. Toute l’équipe peut être fière. Cet accident est arrivé mais personne n’a fait une erreur ou a mal travaillé. On a fait quelque chose d’exceptionnel et on doit s’en rappeler pour rebondir.

Source : SVR